(Éditions PRIVAT)

 

Il s'appelait Clément Cabanettes. Il était originaire de ces pentes misérables de l'Aubrac dont il savait la misère pour avoir dû, comme beaucoup, s'exiler.

D'abord conseiller militaire au Royaume-Uni, le destin le conduisit à guerroyer aux côtés du général Roca durant la “Conquête du désert” : une succession d'horribles massacres, les soldats chargeant les Indiens Araucans, vieillards, femmes et enfants décimés par la soldatesque, à chaque fois, repoussés plus loin. A 600 km au sud-ouest de Buenos Aires, une bataille, une de plus, vient de faire tomber dans l'escarcelle de l'armée argentine, la région de Pigüé.

Vite, il faut peupler ces terres conquises, avant que les Indiens ne viennent regagner le terrain perdu.

 

Le chemin de fer avance ainsi, au rythme des conquêtes. Sitôt la victoire arrachée, les rails sont posés, une gare est construite, des colons s'installent. Les gueux ne manquent point en Europe. En Rouergue, par exemple, à Aurelle, où l'on conte l'histoire de ce paysan si affamé qu'il a consenti son unique pré pour un pain. À Pigüé, en Argentine, Clément Cabanettes n'a pas oublié “le pré de la miche”. Oui, des gueux, il en connaît.

La bataille achevée, les bâtiments ferroviaires, déjà, jaillissent de terre. Pas le temps de tergiverser. Il faut acheter des terrains, ensemencer ...
Cabanettes s'endette, s'embarque pour son pays natal pour faire la tournée des familles, accordant des crédits aux plus démunies d'entre elles, à Aurelle, Bozouls et alentour. Il finira par convaincre quelque dizaines de foyers d'abandonner une terre sans perspectives.

En décembre 1884, au terme de trois mois d'un voyage épuisant, les Aveyronnais de la pampa débarquent sur le quai de la gare de Pigüé et découvrent leurs parcelles, déjà labourées, ensemencées et prêtes pour une première récolte. Clément Cabanettes a bien travaillé.

 

Trente ans plus tard, certains ex-valets de ferme reviendront au pays pour y exhiber une prospérité insolente, dont jamais ils n'auraient osé rêver. Et au volant d'une automobile, à la tête de domaines de centaines d'hectares, de troupeaux de 5 000 têtes de bovins, s'il vous plait. Ne dit-on pas en ces jours-là : “Riche comme un Argentin?” Seulement voilà, c'est la guerre.

Chaque jour le facteur porte de mauvaises nouvelles. Les Aveyronnais de la pampa, bien plus riches que leurs anciens maîtres, sont fraîchement accueillis. Déçus, ils rentrent en Argentine. D'autres, la plupart, ne sont pas venus. Peur d'être enrôlés, de finir dans les tranchées. D'être considérés comme déserteurs pour n'avoir pas répondu à l'appel de la mobilisation.

Les ponts sont coupés entre les deux communautés. Il faudra une autre guerre pour les rétablir. En 1939, une jeune fille de Rodez est allée visiter de lointains cousins. Le conflit la trouve à Pigüe. Elle y reste, convole et ne revient que dans les années 1950, avec son époux. Ils sont triomphalement accueillis. Le lien est rétabli, il ne se rompra plus.

 

François Mitterrand viendra même à Pigüé où il entrera par l'avenue de Rodez et marchera jusqu'à l'Alliance française. Longtemps, l'occitan rocailleux du Rouergue a survécu ici, mais c'est en français que le président est accueilli. Nombreux sont encore les habitants de Pigüé qui ont un cousin éleveur de vaches d'Aubrac du côté de Bozouls, un autre derrière un zinc de la Bastille, à Paris.

Toutefois, Pigüé est aujourd'hui une cité pampéenne de plus de 12 000 habitants, composée d'Italiens, d'Espagnols. Les descendants des Aveyronnais de la pampa se mélangent au reste de la population. La langue se perd, un peu. Mais les liens, désormais solides, demeurent. D'Aveyron en pampa, l'on se visite régulièrement, dans les deux sens.

Aveyron, 2010. Au terme de vingt minutes de marche, un sentier herbeux conduit à Aurelle, plus vaste commune du département. Une unique maison y est habitée, et encore, pas tout le temps. Seule l'église romane veille encore sur le village désert. Les ruines, elles, appartiennent aux familles de Pigüé.

 


 

Ci-dessous, voici la présentation du livre  vendu aux éditions Privat :