LES  ESCAÏS  (surnoms)

 

Le "nom de famille", courant chez les romains ( en tout cas pour les grandes familles) ne s'est généralisé dans la région de La Bastide qu'au XIV° siècle, sans doute sous l'influence des hommes d'église très soucieux de donner un nom aux âmes.

Lors des siècles précédents, les habitants n'étaient désignés que par un surnom  (escaïs) qui pouvait changer au fil du temps ou bien rester immuable.

L'attribution forcée d'un nom de famille, presque toujours le dernier escaïs en date se rapportant au personnage, ne changea pas l'habitude d'utiliser un surnom qui  apparut bien vite et s'accola au « patronyme » tout neuf. On trouve ainsi dès 1313 un « Pons de Bieysses alias Belcayre » et sept ans plus tard un « Pons de La Passe alias Blanc ».

Ces surnoms ont des origines variées, que nous allons détailler dans les lignes qui suivent.

 

1° - LE  LIEU  D'HABITAT

Lorsque la personne habitait dans un écart ( isolé par définition ), il était courant de la désigner par le nom de ce lieu. A La Bastide au 17° siècle, on trouve nombre de surnoms identifiables avec des noms de lieux proches; par exemple Pezet dit « Montpeyroux » ou Mirabel dit « Cantamesse ». Même quand la personne habitait depuis plusieurs générations dans son nouveau village, le surnom demeurait, ce qui en dit long sur la vitesse d'intégration des nouveaux venus; leur surnom rappelait sans cesse qu'ils venaient « d'ailleurs ».

D'autre part, notons que les noms de lieu qui servaient de surnoms au XIV° siècle sont devenus des noms de famille de deux façons différentes :

a) le nom de lieu tel quel devient le nom de famille, on trouve ainsi au moyen âge Hugues Riols, Hugues Sonilhac, Jean Delbosc, Jean Lacaze, tous portant le nom de leur hameau d'origine.

b) le nom de lieu précédé de la particule « de »; on a alors un Jean Delestrade ou un Guillaume Decruéjouls ou encore une Antoinette de la Roque. Il semble cependant que l'utilisation de cette particule soit la conséquence de la volonté de leur propriétaire qui, conscient de son importance locale réelle ou supposée, tentait de ressembler aux vrais nobles possesseurs de fiefs tels Bégon de Calmont, Gaucelin de Belvezet ou Antoine de Salgues. Il est toutefois à noter que la présence de la particule « de » n'est pas une preuve de noblesse mais peut donc n'être qu'une preuve d'ambition nobiliaire; ainsi de longues générations de Boyer ont donné naissance au XVII° siècle à un Antoinette De Boyer, mais cette ascension patronymique n'eut pas de suite.

 

2° - LE  NOM  DE  MÉTIER

Dans de nombreux cas c'est au métier du porteur que se réfère l'escaïs. Bien évidemment, sur La Bastide et autour, nous avons affaire à des activités essentiellement rurales : on trouve ainsi le « Tisseyre » (tisserand), le « Fustier » (charpentier), le « Curbelaïre » (cribleur), le « Pechy » (pêcheur) et même la « Bouchicane » (gardeuse de chêvres sur terrain pauvre) qui semble porter un surnom particulièrement rare. Dans un registre plus général, on trouve aussi le « Peyrié » (maçon », le « Tioulier » (couvreur), l' « Hostesse » (aubergiste), le « Farinous » (boulanger) au milieu de nombreux autres. Rarement, ces escaïs sont associés; on trouve ainsi à Auriech au XVII° siècle un « Tioulier de la Farinouze » dont la signification n'est pas claire.

 

3° - LA  PARTICULARITÉ   PHYSIQUE

Dans certains cas, c'est une caractéristique du porteur qui est à l'origine de son surnom, et pourra être transmis à ses descendants même s'ils ne la possèdent plus. On trouve ainsi à Auriech l'escaïs « Pichot » (petit) qui perdurera quatre siècles durant. Par opposition il y a eu dans le même village un homme surnommé « Jean Grand » dans la vallée et on rencontre aussi « lou Long » , ces deux surnoms désignant bien évidemment un homme de haute taille.

 

4° - UN  TRAIT  DE  CARACTÈRE

Outre les traits physiques, les traits de caractère sont régulièrement à l'origine des escaïs; on trouve ainsi à Auriech « lou Gay » (joyeux), « Leonet » (petit lion / courageux), à La Bastide « Gamot » (qui chante) et « Esprit » (mystique?). A Ruols un habitant était surnommé « lou Coufinayre » (rancunier) surnom qui cependant pouvait venir du nom d'une de ses terres appellée « Lou Couffin »...  On est rarement totalement sûr de l'origine de tous les surnoms...

 

5° - LE  NOM  D'UN  ANCÊTRE

Enfin, dans quelque cas, un habitant se trouve porter le nom d'un lointain ancêtre dont il est la seule réminiscence. Ce peut être l'ancien nom de famille de l'oustal qui s'est perdu lors de l'arrivée d'un gendre; on rencontre pendant des siècles à La Bastide des Cayrouzes dits « Bourgade » du nom du tenancier médiéval.

Par contre extrêmement rare est l'usage comme escaïs à la fois du nom et du prénom d'un ançêtre, comme ce fut le cas à La Bastide où pendant plus de 300 ans les héritiers mâles de la maison sont surnommés « Guilhem Boyé » du nom d'un gendre venu d'Aunac peu avant 1477. Ce personnage a du fortement marquer son temps !

 

6° - CONCLUSION

 

Il est difficile d'appréhender les surnoms dans leur ensemble, mais nous en avons fait un rapide survol. Nous aurions pu mentionner les escaïs traduisant la position sociale comme « Lou Barrou » (le baron) désignant un coq de village, ou ceux plus poétiques comme « l'Aousel d 'Auriech » (l'oiseau d'Auriech ). Ou encore ceux qui évoluent avec la personne comme cette habitante de Bel Air surnommée à la fin de sa vie « Belairte vielhe ».

On dira juste un mot des escaïs doubles, reprenant le surnom familial et y ajoutant un nouveau; on rencontre ainsi en 1667 Pierre Delbosc dit « Gasquet » dit « Lou Bessou » (le jumeau) , et au XIX° siècle «lou  Coufinayre» (déjà cité) dit aussi « l'Escloupier » (sabotier).

Ajoutons enfin que dans la communauté, le surnom remplace dans l'usage le nom administratif à tel point qu'un habitant de La Bastide citera un jour le surnom de son voisin en disant « je ne me souvenais plus de son nom de famille »!

Un surnom difficile à porter devait être celui de ce tisserand prénommé Jean-Pierre et surnommé ... «Jean-Pierrette». Ce qui nous amène à une réalité incontournable : ce n'est pas l'individu qui choisit son surnom, c'est la communauté qui le lui donne, pour la vie et pour l'éternité...

 

 Thierry Quintard

Historien de la Bastide d'Aubrac