SOUS LES

 DRAPEAUX

 

1960

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

A BAYONNE

 

A TROIS DOIGTS DE L’ARBRE EN BOULE

 

 « Allez, répétez : C’est la vie de château, pourvu que ça dure, encore vingt pompes, quarante et un, quarante deux… »

Nous étions là, les dernières recrues arrivées en novembre 1960 à Bayonne. Nous avions entamé ce qui à l’époque s’appelait la FCB (Formation Commune de Base). Nous vivions en circuit fermé et ne participions absolument pas à la vie des autres hommes de troupe dans la caserne, mis à part le fait que nous mangions dans la cantine de celle-ci. Depuis trois jours nous étions devenus les souffre-douleurs d’un jeune sous-lieutenant (pourtant appelé comme nous). Il ya une heure à peine, nous rentrions d’une marche harassante, la plupart n’avaient  jamais fait de marches, du moins comme on l’entend chez les militaires ou dans des groupes tels que des scouts (j’étais l’été précédent encore scout routier et j’avais quelque entrainement !) La plupart des gars, on disait les gonzes à l’époque, étaient revenus fourbus, les pieds pleins d’ampoules et quelques bosses ou bleus dans le dos, tout cela à cause des coups de crosses (pas trop fort, mais tout de même on ne nous emmenait pas à l’abattoir, les vieux sous-offs se régalaient, ça les changeait de l’Indo.) Pour ce qui est des chaussures, on nous avait fait briller l’idée que dans quelques temps nous aurions de vraies belles bottes de saut neuves avec des semelles en Vibram. Mais dans l’immédiat pour nous aguerrir, soit disant, on nous avait refilé de vieux croquenots à clous, le cuir dur comme des boîtes de conserves. Le plus vache dans l’histoire c’est que certains magasiniers, pour rire, il est vrai, ne donnaient pas toujours les deux mêmes tailles et pourquoi pas le même pied ! De toutes façons aucunes de ces chaussures n’étaient vraiment appariées. On comprend donc l’état des pieds des pauvres jeunes citoyens, il n’y avait pas que les pieds, d’ailleurs, le moral aussi était au plus bas. On nous avait fait faire un bonne douzaine de kilomètres, mais la nuit, chargés comme des mulets avec en plus un fusil très encombrant dont on nous avait dit qu’il y avait intérêt qu’il soit rendu en aussi bon état qu’au départ, sinon, c’était le tourniquet (conseil de guerre) garanti. Une arme est plus importante que le bonhomme qui le porte !

Donc nous étions revenus harassés vers minuit, avions jeté fusil et sac au pied du lit et c’est tout habillés que nous nous sommes jetés sur nos lit dans la chambrée. Il ne s’était pas passé cinq minutes qu’un : « Garde à vous, puis, fixe ! » retentissant  nous fit sortir du sommeil, mais pas vraiment efficace au sens propre du terme !

Le jeune officier fier de son galon et de l’autorité qu’il lui donnait se mit à nous hurler aux oreilles : « Debout, et au garde-à-vous s’il vous plaît ».

Il a continué à hurler que nous étions des propres à rien, et toutes sortes de qualificatifs bien sentis. Que nous allions descendre devant le cantonnement et que nous allions savoir comment on matait les fortes têtes !

Voilà pourquoi, nous étions trempés (il pleuvait assez fort) et le « sous-Bite » (c’est comme cela que l’on appelait un sous lieutenant, ça devait être en quelque sorte une vengeance !) bien à l’abri dans l’entrée  du bâtiment nous faisait ses commentaires. Les deux sergents, eux, sous la pluie, nous houspillaient à qui mieux mieux. Il faut dire que la plupart d’entre nous n’avaient  aucune expérience de la pratique des pompes, nous redressions nos torses mais le ventre restait en partie par terre !

Cette nuit là, nous n’en n’avions pas fini, on nous fit remonter dans la chambrée, et là explications des réjouissances pour les heures à venir par l’encadrement :

Nous avions droit à une revue de détail comprenant revue de casernement, de paquetage, d’armes, tout le tremblement, quoi. Notre caporal, chef de la chambrée nous expliqua ce que l’on attendait de nous. Ca n’était pas triste : Il nous fallait d’abord passer le plancher à la paille de fer, nous eûmes chacun la nôtre, puis passer de la cire sur celui-ci, faire nos lits au carré, notre paquetage présenté dessus, nos chaussures (si on peut dire) cirées et notre fusil impeccablement astiqué. Avec tout cela, le temps passait, il devait être cinq heures du matin lorsque le sous-lieutenant revint, il s’était ganté de blanc et se régala.

Rien n’allait, il y avait de la poussière sur le dos des armoires individuelles, passait son doigt ganté partout et le regardait dégoutté, il trouva qu’il manquait des clous sur nos pompes et j’en passe ! Il jeta nos lits par terre en les piétinant. Il se foutait carrément de nous, la rage brillait dans nos yeux, quant aux fusils, ils n’étaient propres qu’en apparence paraît-il, il aurait fallu les tringler ; nous n’avions pas cet équipement  et de plus nous ne les avions pas utilisés !

Le  « sous-bite » devait être fatigué car il comptait nous revoir seulement après le déjeuner de midi pour les mêmes raisons mais en tenue 46. C’était la tenue de sortie de l’époque composée d’un blouson serré à la taille, aux poignets, et dessous une chemise de couleur indéfinissable avec une cravate caca d’oie, quant au pantalon aux jambes pratiquement « pattes d’eph », il fallait, avec un élastique mettre les jambes façon golf. Il faut savoir qu’en 1960 les pantalons (civils) des jeunes gens étaient si étroits aux chevilles qu’ils passaient parfois difficilement aux chevilles, de plus les pantalons golf pour les hommes, c’était complètement démodé. Nous étions dégouttés d’être ainsi affublés, mais cela allait nous passer.

Cette période de classes fut éprouvante pour tout le monde, c’était vachement physique, très peu intellectuel, à part la vitesse de refroidissement du fut du canon ! En effet, nous avions des « cours » pratiquement chaque matin, on nous apprenait  des tas de choses, l’armement, le déplacement des troupes en rase campagne en montagne, et comme nous faisions partie des transmissions quelques rudiment  de radio, mais aussi comment trouver son chemin avec une  carte et une boussole, sans oublier de nous inculquer ce qu’était le quadrillage Lambert, le sergent chef qui nous faisait la leçon en était quasiment l’inventeur à son avis : « Voilà, vous êtes dans la nature avec votre section, vous orientez votre carte à l’aide de la boussole, puis repérez l’azimut recherché, mais comme il n’est pas toujours facile d’indiquer une direction à ses homme, vous tendez le doigt de le main gauche en direction d’un cyprès et vous dites : »Vous voyez l’arbre en pinceau, et bien (là avec la main droite, montrant la même indication) à trois doigts de celui-ci, l’arbre en boule c’est notre objectif ! » La les gonzes de rétorquer,  qu’il n’y a pas toujours d’arbres en boule ou en pinceau ! Le sous-officier est décontenancé, il a affaire à des pointilleux, c’est ce qu’il leur dit en ajoutant qu’on trouve toujours un arbre en boule. Mais dans une forêt de pins, comment fait-on ?...

Les matins après avoir petit déjeuné, nous allions au rapport sur la place du même nom. Rangés par sections, nous pouvions voir les diverses sections qui avaient fini leurs classes et étaient en apprentissage. La plupart étaient des « ti-ti-ta-ta », des élèves transmetteurs en Morse, il devait y en avoir six sections. Un adjudant commandait cet ensemble et il parlait constamment comme s’il épelait du Morse. Je me souviens la première fois que je l’ai vu, parlant très fort et scandant toutes les syllabes, c’était très rigolo : « Je-me-pré-sen-te-ad-ju-dant-Ja-das ». Ou bien encore : « Un-vent-de-pa-ni-que-court-sur-la-sec-tion. » Tout cela avec un temps mort entre chacune des syllabes.

Des marches avec de bonnes chaussures, cette fois, nous en fîmes des quantités, très souvent de nuit avec parfois traversée de la Nive (rivière qui se jette dans l’Adour à Bayonne). J’ai bien une anecdote à vous conter à ce sujet.

Notre nouvel officier en remplacement du sous-bite était un « Pitaine », nous apprîmes qu’il sortait du rang, c’était un ancien adjudant, il avait fait l’école de Saint Méxan, je crois. Pardon pour sa mémoire, mais il était con, vraiment con !

Pour nous préparer à nos trois semaines de stage à la BETAP (base école des troupes aéroportées) à Pau, il avait décidé de nous faire réaliser une marche faramineuse de plusieurs jours dont la fameuse traversée de la Nive. Il fallait nous aguerrir (aguerrir ça vient de guerre, celle d’Algérie nous attendait dans peu de temps, et comme dans Astérix : « Aguerrir, équarrir… »). De surcroit nous ne devions pas rentrer les soirs à la caserne, nous étions en décembre et le temps était très humide et bien froid. Pour la nuit, nous avions chacun une couverture (genre de celles que l’on met sur le dos des chevaux !) et une sorte de triangle de toile camouflée avec des boutons métalliques couplés avec des boutonnières sur les bords, on ne nous en avait pas expliqué l’usage !

Nous sommes donc partis en fin d’après-midi, et nous avons eu la surprise de voir le « pitaine »sur une moto Peugeot 175cm3 passer de l’avant à l’arrière de la colonne, excitant les retardataires à marcher plus vite, puis revenant vers l’avant donnait ses ordres aux  sous-offs  pour la direction et le régime de marche. Il nous donnait le tournis et en plus nous enfumait copieusement à chaque passage car il devait y avoir trop d’huile dans le mélange de la bécane.

Enfin nous arrivâmes sur le bord de la Nive. Là, surprise une barcasse en tôle attendait, la moto avec environ un mètre d’eau, il n’y fallait pas songer. Nous mîmes plusieurs minutes à disposer la pétoire dans le bateau. Mais une fois à l’eau ça penchait terriblement d’un côté. Le pitaine choisit au hasard six gonzes qui devraient soutenir la barque pendant la traversée. J’en étais ! La traversée commence et c’est une avalanche d’ordres plus ou moins contradictoires qui se succèdent : « Soutenez par ici, non, par là, mais tirez donc, ah, bande d’empotés. »Nous, en plus du barda, du fusil, et de l’eau à la poitrine pour les plus petits d’entre nous, ce n’était pas simple. Bien qu’il fasse nuit, on s’est regardé, et plouf !!!

Une bordée d’injures a salué cet exploit, nous étions assez fiers de notre coup, quoiqu’il arrive par la suite, nous savions que dans l’immédiat il serait obligé de se traîner à pinces comme nous. C’était bien fait. Cela n’empêche que tous les six on a dérouillé comme il faut le surlendemain à la caserne.

Dans l’immédiat on a ramené le bateau sur la rive, puis la pauvre moto qu’il avait fallu repêcher; nous sommes repartis sans estafette pour nous houspiller. Enfin, arrive le moment du bivouac, dans un bois de pins avec de grandes fougères, sous la pluie, comme il se doit, les GMC avaient apportés vivre et boisson. Le « pitaine »nous expliqua que nous devions nous mettre par triplette et littéralement coudre nos toiles à l’aide des boutons de façon à réaliser une tente pyramidale sur une base triangulaire.

Nous avons bien essayé, mais, les doigts gourds, pour arriver à faire pénétrer ces boutons dans les boutonnières toutes raides, la galère, et oh surprise, pas de piquet de tente, notre fusil est trop grand. Et en repliant la crosse en alu, il est trop court ; il y avait bien la baïonnette ! Nous avons fini par nous envelopper dans nos couvertures et ensuite dans la fameuse toile. Bonjour le camping !!!

A l’époque, je fumais déjà raisonnablement, mais le fait qu’avec la paye misérable on nous donne des paquets de cigarettes m’avait insensiblement attiré dans le gouffre, mais rapidement, je n’en avais pas assez, vraiment pas assez. Il y avait nos parties de cartes où l’on jouait soit à la belote, soit au poker avec des mises en cigarettes, voire en paquets, je n’étais pas assez rompu pour pouvoir y gagner ma quantité journalière. Par contre, une fois un des gars m’ayant vu faire de la couture me demanda si je me sentais capable de rétrécir son pantalon pour qu’il soit au gout du jour, des filles, quoi, en résumé à la mode. Je lui répondis que pour moi ça n’était pas un problème, je m’empressais d’attaquer tout de suite ; il me fallut trois soirs car il fallait que je découvre, je ne l’avais jamais fait, mais les travaux d’aiguille ne m’avaient jamais fait peur. Je me fis payer de quatre paquets. Par contre les suivants car il y en eut d’autres et j’ai continué à faire de la couture pendant pratiquement tout mon service ; tout ça pour en arriver à une consommation  lorsque j’eus ma perme libérable de trois paquets par jour, et encore en me freinant !

 

 

 

A PAU

LES PARAS MARCHENT …
 

L’entrainement parachutiste était déjà envisagé dès notre arrivée en caserne. Les premiers jours de novembre 1960. La première chose qui fut faite pour tous, c’était le passage chez le coiffeur ! Las ! Une horreur pour certains qui portaient avec ostentation de longs cheveux plus ou moins bouclés sur les épaules. Ici tout était T.A.P. (troupes aéroportées) et la coupe TAP c’était un millimètre de cheveux sur le dessus et rien sur les côtés ! J’en ai vu plusieurs pleurer, voire se débattre tenus par un gradé pendant que le coiffeur opérait.

 Personnellement, cela m’avait laissé complètement indifférent, bien que je me reconnaisse difficilement dans la glace, je trouvais même cela rigolo. Après le coiffeur, c’était la photo.  Tels des bagnards, on nous faisait mettre de face puis de profil tout en tenant une réglette avec notre nouveau numéro de matricule. Là, je n’ai pas aimé, et sur les photos on était vraiment des bagnards ! Très rapidement on nous a inculqué  ce que nous devions savoir faire pour devenir parachutistes, des vrais ! Pour aller à la BETAP (Base Ecole des Troupes Aéroportées), à Pau, il fallait avant tout être capable de faire vingt tractions à la barre fixe, sans interruption, c’était nécessaire paraît-il lorsque nous serions en l’air pour nous diriger. Au début, les meilleurs en réalisaient  cinq, et encore tout juste. Il fallait aussi pouvoir faire vingt pompes au commandement et recommencer quelques minutes plus tard. Aussi, il fallait être volontaires pour sauter, ceux qui ne l’étaient pas étaient travaillés au corps jusqu’à ce qu’ils cèdent.

 Au fil des jours, nous devenions sportifs, et, début décembre nous étions tous (enfin pratiquement tous !) fin prêts pour le départ à Pau. Nous savions aussi marcher au pas lent des parachutistes tout en chantant des paroles très souvent traduites de l’allemand (je l’ai su plus tard), manipuler les armes (je ne parle pas de tir mais ce que l’on appelait l’ordre serré, c'est-à-dire défiler avec armes et réagir au centième de seconde aux ordres). Nous partions chaque jour en  gymnastiques matinales (souvent avant le lever du jour, à peine habillés d’un maillot de corps et d’un flottant avec aux pieds des espadrilles).

Nous faisions le parcours du combattant quasiment journellement, très souvent d’ailleurs c’était au retour d’une marche ou d’un exercice pénible ; la partie la plus éprouvante du parcours était la fosse anti-char, le dernier obstacle. C’était une fosse de béton d’environ 2 mètres sur 3 et profonde de plus de 2,50 mètres. Là combien sont restés des heures jusqu’à pouvoir en sortir seuls. Un de mes camarades, Sètois qui était docker de son métier, qui aurait dû être un des plus solides d’entre nous, il n’en était rien. Il est resté une fois pratiquement toute la nuit dans la fosse sans que nous ayons le droit de l’aider en aucune manière. Tard dans la nuit un des gars de la garde l’aida à sortir. Je fais une parenthèse sur ce brave garçon qui dénotait parmi nous ; tout d’abord, il était inculte, ne savait ni lire ni écrire. Un sous-off avait tenté de lui inculquer quelques rudiments de lecture. De plus, il ne voulait pas entendre parler de sauter en parachute, nos officiers déroutés par son comportement global ont fini par le muter dans l’est de la France, à Épinal, nous n’avons pas su ce qu’il était devenu.

 Nous réalisions de plus en plus souvent de longues marches et aussi toutes sortes de courses avec tout le barda. Il y avait celle de 1500 mètres qu’il fallait réaliser dans un temps  très précis (je ne me rappelle le nombre de minutes, mais c’était court) au-delà du quel nous n’étions plus considérés comme aptes au départ à la BETAP, il y avait aussi celle de 15.000 mètres, le premiers mettaient environ 90 minutes, les derniers eux, mettaient une heure de plus que le premier, voire plus! De toutes les façons il nous fallait absolument être aptes, il ne pouvait y avoir de dérogation, nous devions tous obtenir ce Brevet Parachutiste. Ce brevet qu’on appelait alors la « Plaque à Vélo » car formé de deux ailes à son extrémité et d’un parachute en son centre, il ressemblait étrangement à cette plaque à vélo des années 40 qui était un impôt sur les deux roues. Ces mois de classe, on en a bavé, mais comme nous étions bataillon disciplinaire, il fallait être les meilleurs !!! Je me souviens d’une épreuve assez terrible, c’était la chambre à gaz. Nous étions déjà habitués à porte le masque à gaz, car de temps en temps nous faisions le parcours dotés de cet équipement. C’était très éprouvant car on manquait d’air véritablement, d’ailleurs l’encadrement surveillait que nous ne missions point le doigt sur le côté du masque pour pouvoir respirer de l’air frais ! J’avoue que je l’ai fait, je ne devais pas être le seul.

 La chambre à gaz, c’était la partie des fortifications Vauban (fortification qui entourait la caserne de la Nive) dans la quelle était creusé un tunnel profond, sans aucune lumière. On nous faisait rentrer par groupes d’une dizaine, nos masques sur la tête. Un sergent tirait une cartouche lacrymogène, puis surveillés par des torches électriques nous devions ôter les masques, dévisser la cartouche filtre et l’échanger avec le voisin, à la suite de quoi nous remettions les masques. Ensuite de quoi, c’était l’échange pur et simple des masques. Nous étions là-dedans, sans air, pleurant à qui mieux mieux, certains faisaient mine de partir, mais on les en empêchait. L’épreuve durait une bonne dizaine de minutes, quand enfin on sortait de là, nous mettions plusieurs heures à récupérer totalement, la seule chose qui nous consolait si l’on peut dire, c’est que des gradés étaient avec nous dans ce tunnel, je me souviens même qu’un sergent était entré sans masque et ressorti toujours sans masque. Au départ, il nous avait dit, c’est facile de résister, c’est une question de volonté et d’habitude, n’empêche qu’il est ressorti bien mal en point !

Encore Ordre-Serré : Garde à vous, repos, garde à vous, repos, garde à vous, armes sur l’épaule, droite, reposez, armes, repos. Vous pouvez fumer, cinq minutes de bulle. C’était comme ça tous les jours, et nous défilions sur les pavés de la place du rapport en scandant : « Trois---quatre :  Nous sommes – les hommes -  des troupes – d’assaut – demain – brandissant nos drapeaux,- en vainqueurs nous défilerons … » Nous étions prêts, semble-t-il.

Les camions nous emmènent à Pau. Nous découvrons le camp, immense avec quantité de baraquements bas. On nous conduit à celui qui sera le nôtre pendant quinze jours. Nous avons dix minutes pour le rassemblement devant la porte. Un adjudant en combinaison de saut nous attend : «  Je me présente, je suis votre instructeur, adjudant Chevrier. Ici, vous allez le voir, tout se fait en petites foulées : pour les exercices, pour la cantine, pour l’embarquement aux avions, pour la tour de départ ou celle d’arrivée. Allez, on commence, derrière moi, en petites foulées… »

Nous arrivons devant la cantine, là, une surprise nous attend la cantine a deux portes ; sur l’une est écrit  VIN, sur l’autre LAIT. On nous avait prévenu, à Pau on se dépense tellement qu’il est bon d’avoir à chaque repas un litre de lait. Comme les trois quart de mes camarades, j’opte pour le lait et je ne l’ai pas regretté par la suite. Une demie heure après, l’adjudant Chevrier nous reprend en main et nous explique que chaque section comme la nôtre s’appelle « STICK » et ça c’est le groupe qui remplit un avion, nous sommes 32 gonzes. Lorsque nous serons dans le Nord-Atlas 2501, nous sortirons des deux portes soit 16 bonhommes de chaque côté. Nous somme le quatorzième stick de la 529ème promotion. Notre stick est composé en majeure partie de sursitaires (j’avais pris un an de sursis pour mon école automobile à Paris), donc des toubibs, des ingénieurs etc... Mais je suis le seul à avoir déjà sauté en prémilitaire à Aix les Miles, à Nîmes et Montpellier en 1957 et 58 de Dakota, j’avais d’ailleurs obtenu le brevet prémilitaire au bout de quatre sauts. On m’explique que ça ne vaux rien ici et que je ferai comme tout le monde, mon brevet prémilitaire ne sert à rien ! Pour moi il n’est tout de même pas nul car il m’a permis tout de même depuis mon incorporation d’avoir une solde de quinzaine nettement plus intéressante que celle des autres. Cela s’appelle la « solde-à-l’air ». Plus tard nous toucherons tous 50 francs par mois, en tant que deuxième pompe !

Un de mes compagnons de Bayonne, Claude Bizet arrivait comme moi de Montpellier, il n’est pas très causant et ne pense qu’à écrire à sa fiancée ou à lire et relire ses réponses, de toutes façons, nous sommes tellement pris par nos activités que nous n’avons pas une seconde à nous pour envisager des amitiés ou tout simplement des discussions; nous avons tout de même de bonnes relations les uns avec les autres, mais pas question de parties de cartes en rentrant dans la chambrée, nous nous jetons sur les lits. D’autre part, nous sommes en admiration devant notre adjudant, il venait d’être sacré champion de France en saut commandé, il faisait partie de l’équipe de France militaire. Sa gloire nous faisait regarder les autres sticks de haut ! A cette époque importaient tout particulièrement les atterrissages de précision et les militaires se mesuraient avec les civils. Par contre, les pépins des pros ressemblaient étrangement aux nôtres, tout ronds, mais par contre ils étaient équipés de deux fentes commandées par de petites boucles de cordelette nylon placées sur les suspentes avant. Elles permettaient de faire pivoter la coupole dans un sens ou dans l’autre, les fentes propulsaient le pépin dans le sens opposé à leur direction. D’un autre côté, il comportait une grosse poignée rouge juste au dessus du cœur, elle était reliée à un câble d’acier solidaire des goupilles d’ouverture du sac du pépin. Le ventral, lui était identique au nôtre.

Nous courrions dans la BETAP dans tous les sens, entraînement de ceci ou de cela, toujours des pompes et des tractions, nous commencions à être presque infatigables ! Evidement nous n’étions pas tous égaux dans la qualité de nos efforts, moi, par exemple je n’ai jamais été très bon en pompes, mais je m’en sortais honorablement. Certain étaient capables de faire un nombre incalculable de ce que l’on appelle les pompes claquées. C'est-à-dire que lorsque le corps est en l’air, il faut claquer les mains puis reprendre appui ! Ou encore faire ces mêmes pompes sur une main, puis changer de main !

Dans la base courrait le bruit que les tours de saut c’était quelque chose, qu’il y avait paraît-il eu des morts, même récemment. Je me demande maintenant si ça n’était pas un bruit que faisaient courir les autorités pour mieux valoriser nos succès à ces activités. La tour de d’arrivée vue de loin était immense. Nous n’avons pas tardé à les voir toutes les deux de très, très près ! Cette  tour d’arrivée comme son nom l’indique représentait l’arrivée au sol. On aurait dit un grand poteau de ligne haute tension. De son sommet partaient quatre câbles perpendiculaires et en pente relativement douce vers le sol sur les quels couraient une poulie supportant par quatre haubans un cadre métallique d’environ 2 mètres sur deux sur lequel était brélé les quatre suspentes du harnais. La poulie était reliée à un câble qui remontait jusqu’en haut et reliée à des contrepoids à la façon d’un câble tracteur de téléphérique. Lorsqu’on avait escaladé la tour jusqu’à mi hauteur on arrivait à un pallier, là un instructeur nous aidait à nous installer dans le harnais et on restait tel l’asticot du pêcheur, suspendus et se balançant jusqu’à ce que d’un seul coup ça se mette à descendre très vite jusqu’au sol et là, patatras, on se retrouvait les quatre fers en l’air dans une aire sablée. Il y avait toutes sortes de procédures pour cet équipement ; soit on tournait le dos à la pente, soit de face ou soit de côté, il fallait donc arriver à réaliser parfaitement le roulé-boulé qu’on nous avait appris en sautant d’un mur et cela quel que soit le sens de la descente. Tout cela n’était pas évident, mais je trouvais la chose malgré tout assez plaisante. Nous y avons passé des heures sur cette tour, parfois on prenait de sacrés gadins, l’instructeur pouvait régler la vitesse de descente, il pouvait même ôter totalement les poids !

L’autre tour, c’est la tour de départ, qui représentait la sortie de l’avion. Là c’est la plus impressionnante des deux. Si j’ai bonne mémoire, une fois arrivé en haut et bien brélé dans le harnais on se jetait de 18 ou 19 mètres de haut. Cette tour est beaucoup plus massive, moins haute et n’a qu’une sortie. Comme dans la précédente, on grimpe par une échelle verticale avec des cercles de sécurité. Une fois arrivé sur la plate-forme un sous-officier largueur vous attend pour vous équiper du harnais. Les quatre suspentes sont reliées à un câble qui passe dans une poulie installée dans une potence métallique au dessus du vide. Ce câble par une autre poulie redescend dans un gros tube vertical au fond duquel il est relié à une énorme chaîne d’ancre, c’est le contrepoids. Lorsque l’on se jette on tombe d’abord comme si rien ne nous retenait, les suspentes se tendent commencent à tirer d’abord le câble, puis la chaîne qui commence à sortir et nous freine de plus en plus rapidement, si bien qu’avec un peu d’habitude on peut arriver debout. Tout de même il faut se remettre dans le contexte, cette tour a mauvaise réputation. Tout le monde la craint et ce bruit terrible de chaînes n’y est pas pour rien, on l’entend de tout le camp, d’ailleurs. De plus au moment du coup de frein, on a l’impression d’être un pantin désarticulé, c’est exactement ce que voient les spectateurs. Pour beaucoup, aller à la tour de départ, c’est une sorte de supplice, une angoisse terrible les étreint. Je reconnais que j’avais peur de me jeter ainsi dans le vide, mais j’y allais de bon cœur. Si je me souviens bien il fallait un minimum de sauts de la tour de départ, certainement quatre, mais je crois bien en avoir fait beaucoup plus. Sur l’instant, je n’avais pas analysé, mais je crois que l’adrénaline y était pour quelque chose, comme maintenant de nos jours le saut à l’élastique. Personnellement, je pense que l’élastique est encore plus impressionnant que le saut de la tour.

Nous avions visité la SEP (Section d’Entretien des Parachutes), énorme hall où séchaient les parachutes, ils étaient suspendus par la cheminée et s’étendaient depuis le plafond de cette salle, les harnais rasant le sol. Plus tard quand nous avons commencé à sauter nous avions à tour de rôle la corvée d’étendage, ça consistait à accrocher les pépins par la cheminée et tels les mineurs avec leurs vêtements nous remontions l’ensemble tout en défaisant la chaînette réalisée sur les suspentes, en contrôlant  fuseau par fuseau s’il n’y avait pas de déchirures, puis passions au suivant.

 Tous les jours nous pouvions voir d’autres sticks sauter des Nord Atlas, c’était impressionnant vu d’en bas, surtout qu’on se disait : dans quelques jours ce sera notre stick qui sera en l’air. Pour nous mettre un peu la pression nous avons pu voir deux incidents suffisamment graves pour peut-être nous faire renoncer. Il faut dire que parmi les élèves parachutistes, beaucoup au départ n’étaient pas vraiment volontaires. C’est la pression exercée par leurs chefs qui les avait finalement décidés, que ce serait pour eux une fierté de faire partie des élites de l’armée ; et ça marchait. Ca marchait en effet presque toujours, j’en reparlerai.

 Un matin deux avions réalisaient leurs largages quotidiens, quand l’un d’entre nous cria : « regardez, il y a un gonze qui est traîné par l’avion. » En effet, un pauvre type était balloté sous la poutre arrière (les Nord avaient deux queues reliées par le plan horizontal de dérive appelé communément poutre), il était drôlement chahuté le pauvre, et ça durait, ça durait. Notre adjudant qui devait estimer que tout cela n’était pas bon pour notre moral nous a entraîné en salle pour des exercices aux agrès, c'est-à-dire nous entraîner encore une fois aux positions en suspension avec des harnais suspendus à des portiques. Nous n’avons pas vu la suite, mais nous l’avons appris le soir. Tels des commères dans la cantines nous parlions tous en même temps, jusqu’à ce qu’un  officier en nous intimant le silence nous exposa la situation de ce qui s’était passé le matin. Les deux largeurs dans la carlingue n’arrivaient pas à ramener le malchanceux qui, dit cet officier,  étaient responsable en partie de ce qui lui était arrivé, sa SOA (la sangle qui reste reliée à l’avion et qui permet d’ouvrir automatiquement le pépin) était passée sous la bretelle, ce qui avait provoqué cet accident. Ces deux hommes sont allés chercher le copilote pour tenter de ramener le pauvre gars, peine perdue. Il a fallu que le pilote grimpe en altitude, puis ensuite en léger piqué, à la limite de la perte de vitesse, les trois militaires ont pu ramener enfin le pauvre type complètement groggy après une heure balloté derrière l’avion. On lui a enlevé son harnais, lui ont mis un harnais de commandé, lui ont posé la main droite sur la poignée en lui disant : « Tu compte 1, 2, 3 et tu tires. » Ils l’on poussé dehors. Ca s’est bien passé, et en bas, sur le terrain,  le colonel de VISMES qui commandait la base de la BETAP lui a accroché le brevet sur son treillis en lui disant : « Tu es le premier homme a avoir eu son brevet au premier saut. » Nous étions tous soulagés, mais nous n’avons jamais pu voir le gonze ne question, Je pense qu’il est retourné dans sa caserne avec une perme.  C’était tout de même un héros pour nous et il l’avait échappé belle.

Le deuxième incident que nous avons vu s’est passé au moment où en rangs devant la cantine nous attendions le moment d’y pénétrer lorsque nos regards furent attirés par un Nord volant peut-être à 1 500 mètres et qui larguai plusieurs hommes. Ils filaient vers le sol, puis presque en même temps cinq des six hommes ouvrirent leurs parachutes. Et nous pûmes voir que le dernier était en difficulté, son pépin n’était pas vraiment sorti de la gaine, ça fouettait au dessus de lui sans le ralentir, on pouvait voir qu’il faisait tout pour ouvrir son ventral, enfin celui-ci s’ouvrit à moins de cinquante mètres du sol. Au moment de son ouverture le type était la face vers le sol, cela fit un claquement sec et il fut retourné comme une crêpe. Arrivé au sol sans trop de bobo, le gonze se tenait la nuque, il avait tout de même été bousculé comme il faut. Il revenait tout de même de loin !

Fin décembre approchait, les gars de mon stick étaient, tout comme moi, assez malheureux de n’avoir pas encore eu de perme et en plus de penser que leurs familles fêteraient sans eux Noël et jour de l’an. Nous pouvions voir à la cantine les menus prévus pour ces fêtes et ça nous permettait d’entrevoir des soirées un peu moins tristounettes. Noël est arrivé, relative bombance, le panneau d’affichage indique le 14ème   stick pour le lendemain 26 décembre. Enfin le premier saut est là.

Lever avant cinq heures du matin (si j’ai bon souvenir), branle-bas de combat, comme il se doit, casque léger surmonté du casque lourd plus le MAS 36 CR 39 (c’est un MAS 1936 qui comporte une crosse en aluminium plus courte et repliable destinée spécifiquement aux troupes aéroportées) , pas d’autre barda, sinon le pépin dans son sac style fourre-tout mais kaki naturellement. Nous voilà sur l’aire d’embarquement, les sacs sont posés à terre, nous repartons faire un petit entraînement en petites foulées car il y a trop de vent. Paraît-il au lever du soleil ça devrait se calmer. Nous voici de retour, une heure après, le vent se calme enfin, c’est même à fond de train que l’on doit s’équiper, de ce côté-là pas de problèmes, on est rôdé, mais on le voit bien, l’angoisse est sur tous les visages. A la queue leu-leu nous embarquons dans le Nord Atlas, nous sommes engoncés avec nos deux pépins, un derrière, un devant et le MAS crosse repliée sous le ventral, l’angoisse est toujours là. Les deux moteurs se lancent, et zou, c’est parti, court taxiway et pleins gaz on est en l’air, je trouve que ça va beaucoup plus vite et beaucoup plus pentu qu’avec Le Dakota, nous sommes vite en pallier, un premier virage, un second. Puis, ordre : « Debout, accrochez. »Je suis le premier par la porte gauche, j’ai accroché ma SOA au câble qui court dans toute la carlingue, sans oublier l’épingle de sécurité. Il y en a un autre pour la porte droite. Un des largueurs passe entre les deux câbles et contrôle l’accrochage ainsi que la disposition de la SOA (ne pas réitérer l’incident de l’autre jour, le largueur qui avait procédé à cette inspection a dû en prendre sur les doigts), la lumière est rouge. Je n’ai même pas eu le temps de voir le vert, ça y est, je suis dehors, happé par ma jambe droite que j’avais lancé, je suis aspiré, un peu secoué et je vois tout de suite au dessus de moi une sorte de poire verte qui gonfle et voilà le pépin est ouvert en douceur. Rien à voir avec mes sauts de Dakota, où le pépin s’ouvrait si brutalement que beaucoup d’entre nous avaient les oreilles brulées par les suspentes qui avaient claqué comme un fouet, souvent, même les deux casque jouaient les filles de l’air. Je me balance, j’ai des twists (suspentes enroulées en spirale), mais immédiatement, je mets mes deux mains au dessus de ma tête en écartant les suspentes, face à moi, je vois les autres à peine plus haut, quelques pépins sont blancs, la majorité sont kaki, ça se passe bien, je jouis réellement de cette descente, mais trop courte. J’arrive, le sol se précipite vers moi. En position d’atterrissage, les pieds joints, les tractions sur les suspentes, les coudes au corps, patatras, j’y suis. Bonjour le choc, je ne me souvenais plus et je n’ai pas fait le roulé-boulé qui m’aurait amorti le choc. Heureux d’être là, les copains aussi sont tous là et je commence à faire le « brassage rapide ».Je me retrouve avec l’ensemble de nylon et de suspentes autours des bras, on part vers le rassemblement. L’adjudant Chevrier qui était sorti de la porte droite me fait des remarques tout en marchant, il avait vu toutes mes erreurs ou mes oublis. « Ce n’était pas la peine d’avoir le brevet prémilitaire ! » Il a raison, mais je suis bien content de me trouver ici sur le plancher des vaches. Il se laisse un peu dépasser et invective les autres qui ont eux aussi fait des oublis, il engueule carrément l’un d’entre nous qui lui, a ouvert son ventral, il avait l’impression que son pépin n’était pas normal. « Pauvre couillon, tu aurais pu au contraire provoquer le mélange des deux parachutes et tu serais arrivé avant nous ! »

Les sauts se suivirent, de la fin décembre jusqu’au 5 janvier. Nous avons réalisé huit sauts  à la BETAP et le dernier très spécial. Nous arrivons sur la piste pour découvrir que l’ogive arrière  a été ôtée sur le Nord 2000 afin de lâcher une jeep. A l’intérieur de la carlingue il avait été disposé sur le sol un train de galets afin que la jeep en question puisse être poussée dehors facilement. Nous devrions sauter en paquet derrière elle. Elle était emballée d’un cadre de bois sur lequel était installés les parachutes matériel. Trois largueurs étaient déjà là dans l’avion lorsque nous montâmes, ils finissaient d’installer les pépins. Par sécurité, on nous dit d’accrocher nos SOA. L’avion commence à rouler, nous sommes un peu impressionnés par le fait qu’il n’y a pas d’arrière, il y a un sacré remous d’air à l’intérieur. Les largueurs son encore affairés lorsque le Nord prend de la vitesse et commence à décoller. Oh surprise, la jeep aussi, elle se met à glisser sur ses rouleaux, les sangles qui n’étaient pas tendues encore, cassent et la jeep nous quitte définitivement et crac sur la piste ! En effet, pour un crac c’était un crac ! Ca nous a fait bien rire, surtout après. Quant au saut par l’arrière, sans la jeep, c’était beaucoup plus impressionnant que par les portes. Une fois dehors, nous nous sommes retrouvés agglutinés les uns contre les autres, très rapidement, je me suis retrouvé juste au dessus d’un copain. Et puis, j’ai pu pendant quelques secondes marcher sur sa coupole, mais j’ai glissé dessus et finalement, j’ai traversé ses suspentes. Comme on nous l’avait appris, j’ai saisi un groupe de suspentes très fermement pour éviter de faire l’ascenseur et risquer d’arriver trop vite au sol. L’arrivée se fit sans bobo, il fallut simplement désemmêler les deux pépins.

Il y a eu un saut particulier pendant le quel nous devions ouvrir le ventral. Briefing sur la piste avant le départ : « N’oubliez pas, la main gauche sur le pépin et de la droite vous tirez la poignée ; mais attention avant toute autre action vous devez impérativement mettre la dite poignée dans la poche inférieure de votre treillis. Sinon 8 jours de consigne. Ensuite, seulement, glissez la main droite sous le pépin et d’un geste ample et énergique vous le jetez vers la droite. » Je crois bien que l’armée avait dû en perdre une assez grande quantité et qu’ils en manquaient, car quoique de plus facile de tirer la poignée en la jetant ! Le saut se passe bien, un seul d’entre nous n’a pas réussi et se retrouve avec une sorte de paquet de linge sale. D’après moi, il l’a jeté alors qu’il était arrivé. Par contre manquaient 3 poignées ! Nous devions partir le surlendemain, les 8 jours de consigne…

Avant de partir, cérémonie de remise des brevets en grande pompe, le mien porte le numéro 180 335. Je l’ai donc accroché sur la poitrine comme il se doit immédiatement. Ca veut dire que j’avais réalisé de petites boutonnières pour fixer la barrette et non des fentes au couteau dans le tissus comme le faisaient la plupart.

Je serais bien resté à Pau, somme toute c’était bien sympa. Voilà je repars à Bayonne où je vais soit connaître enfin mon affectation dans la caserne à moins que ce ne soit un ordre de mission pour l’Algérie. Je vais aussi, je l’espère avoir ma première perme !

  

 

 

A BAYONNE

CASERNE DE LA NIVE
 

Le lendemain sur la place du rapport de la caserne de la Nive je recevais mon affectation, je m’y attendais un peu, dois-je dire. Je vais donc suivre le stage de deux mois à la section auto. Je ne dis pas que je n’aurais pas aimé faire du morse, ça n’est pas vraiment mon truc, seulement j’aurais aimé savoir me servir des postes émetteurs de radio. Cette place du rapport, nous nous y retrouvons chaque matin à heure fixe pour le lever des couleurs et pour le rapport par l’adjudant de compagnie qui est un peu le surgé du coin ! Notre Sergent-Major nous commande généralement pour y aller : Garde à vous, repos. La plupart du temps le sergent BATTLE arrive après nous et il traverse la place en biais, lui aussi est en biais, une main dans la poche. Dans ce cas là, on le sait, il est déjà passé par le foyer et s’est tapé quelques topettes de Reine-Pédauque. L’adjudant de compagnie alors,  se présente sur la place, à toute la compagnie rassemblée, il tonne : « Garde à vous, Pour les couleurs envoyez. ». A la Nive nous avons un clairon, un vrai, il nous réveille tous les matins sans trop de canards, mais pour le lever des couleurs, très souvent le clairon déraille et ça fait rigoler. L’adjudant de nouveau : « Garde à vous, silence au rapport, repos. » Il fait les diverses annonces du jour, les permes, les nouvelles nominations, les peines de prison ou les consignés. Quand il s’agit d’un gradé, il cite : Caporal X 20 jours dont 8 ou bien caporal-chef X 30 jours de consigne. Le rapport terminé, les chefs de sections emmènent leurs hommes vers leurs diverses activités.

Le sergent-major GIMOT est mon nouveau chef de section, il est secondé par un sergent de la vieille école, qui comme lui, a fait l’INDO, la guerre des six jours… Cest le sergent BATTLE, il est en limite d’âge. D’autre part, il n’arrive pas à obtenir son CIA qui lui est absolument nécessaire pour rester sous-officier, et de fait dans l’armée ! Plus tard, d’ailleurs il paiera un jeune champion local de natation pour le remplacer sous son propre nom à l’épreuve de 50 mètres nage libre, car il ne sait pas nager du tout. Le remplaçant en question en arrivant premier de la compétition mettra la puce à l’oreille des organisateurs militaires; résultat il est blâmé et je crois même que plus tard il a été carrément éjecté de l’armée. Deux instructeurs caporaux et un caporal-chef complètent cette équipe, ce sont eux, en fait qui vont nous faire les différends cours, plus ou moins aidés par les sous-offs. Ce sont ces caporaux qui dans la chambrée sont l’un chef de chambre et l’autre adjoint et qui nous emmènent vers les différentes activités, et en rang, au pas s’il vous plaît. Le capitaine VETORIN nous surveille particulièrement, car nous sommes réputés à la section auto pour faire des conneries !

La caserne de la NIVE est le CITR 25 (Centre d’Instruction des Transmissions N° 25), elle instruit donc un grand nombre d’hommes à l’utilisation de la radio, à l’émission et réception de messages en morse et à l’utilisation de codes secrets, raison pour laquelle ces hommes sont triés sur le volet et j’ai même appris qu’une enquête était réalisée auprès des familles de ceux-ci. Pour faire marcher ces appareils de radio divers et les transporter, il faut une équipe de chauffeurs pour le transport, et pour la maintenance des groupes électrogènes qui font fonctionner les gros appareils de radio. Le centre d’instruction a donc prévu cette section auto où les nouveaux hommes de troupe vont passer tous leurs permis de conduire, depuis la moto jusqu’aux gros camions, cela s’appelait la FRAC (Formation Rapide Automobile des Chauffeurs). D’autre part il leur sera inculqué de bonnes connaissances de mécanique, pour pouvoir entretenir leurs propres véhicules, mais aussi et surtout pour les trois types de groupes électrogènes existants à l’époque, à la clef des brevets particuliers de conducteur et de réparation de ces matériels font l’objet d’examens.

Comme le principal souci de notre chef de corps, le commandant KERJEAN est l’instruction des radios, on nous oublie un peu, sauf le capitaine VETORIN. Par contre il semble que nous ne sommes pas trop bien considérés, et les hommes des sections radio nous envient un peu, car, non seulement ils ont la grosses tête,  mais encore ils nous voient partir nous balader tous les jours alors qu’ils sont penchés sur leurs manipulateurs ou concentrés avec leurs casques sur les oreilles pour traduire ce qu’ils entendent. Il y en a un qui m’a raconté que c’était vachement envahissant dans la tête, et que ça le fatiguait nerveusement.

La section auto fonctionne de la manière suivante : toute une série de cours en salle sur les sujets : code de la route, mécanique auto, groupes électrogènes qui nous sont prodigués chaque matin. La conduite se fait chaque après-midi en plein Pays Basque. Je retourne à l’école, ça ne me déplait pas du tout, mais je reconnais, je suis agaçant avec les instructeurs car je connais la plupart du temps le sujet aussi bien. Le sergent-major me demande de me mettre en veilleuse, mes interventions ne font pas avancer l’enseignement. Je le concède, mais j’aimais bien me mettre en valeur, cela n’apportait rien aux autres, peut-être même cela les embrouillait-il. Les cours de code eux, sont très fouillés, il s’agit de savoir par cœur, par exemple les dix huit ou vingt cas d’interdiction de doubler ; je ne sais pas si au pied du mur on se souviendra que là, c’est le douzième cas et qu’il faut rester tranquille !

Et puis, tous les après-midi nous partons en conduite les uns dans le GMC, les autres répartis dans les deux JEEP, ces véhicules étant conduits par les instructeurs et les deux sous-officiers, une moto complète le lot des véhicules, c’est une 175 Peugeot (il y en a tout un stock à la caserne). Les véhicules-école sont reconnaissables à la large bande blanche peinte sur le capot et les ailes avant perpendiculairement à l’axe du véhicule. La caserne dispose en outre d’un grand nombre de véhicules, hormis les GMC, les JEEP Willis, il y a aussi des command cars radio, des JEEP Hotchkiss, quelques 203 Peugeot pour transporter les officiers et j’en oublie. Les premiers jours il a fallu dégrossir la plupart des gonzes sur un home-trainer. C’est une JEEP posée sur des rouleaux. Ainsi, ils apprennent les différentes manœuvres à réaliser pour passer les vitesses et faire fonctionner une auto. La plupart découvrent vraiment ce qu’est une auto et ce système permet aussi de leur faire voir les entrailles du véhicule sous divers aspects dessus et dessous ainsi que sous le capot. Très rapidement,  au bout de deux ou trois jours nous partons vraiment conduire. Cela se passe entre HASPAREN et CAMBO, des villages très typiques, je dirais même de vraies cartes postales, ils sont réputés pour leurs champions de pelote basque au cours des années passées. De grand panneaux de bois sont posés sur la chaussée, indiquant auto-école militaire au début et à la fin du circuit et préviennent ainsi les civils de se méfier car les quatre engins se déplacent en même temps sur ce circuit. Il ne faut pas oublier de les retirer en partant le soir. Mis à part pour la moto, chaque véhicule prend trois élèves plus le moniteur, ce qui fait que ceux qui attendent peuvent se permettre d’aller dans une ferme qui se trouve à mi-chemin du parcours pour y casser la croute. C’est vraiment une ferme à l’ancienne, je ne crois pas même qu’ils possédaient un tracteur, par contre les charrois de la moisson ou de foin sont tirés par des vaches ou des bœufs, j’ai vu les deux cas. La fermière est super sympathique, elle nous accueille dans sa grande cuisine envahie d’une nuée de mouches malgré les tue-mouches collants qui pendent en grand nombre du plafond qui a perdu sa couleur à cause des chiures de mouches justement. Celle-ci nous vend pour 1 franc un sandwich à l’omelette monstrueux de quatre œufs de la ferme. On y boit de l’eau, parfois nous eûmes droit à du vin du cru (pas un grand cru pour autant). La fermière n’est pas bégueule et nous raconte que la vie est dure pour elle et son mari et qu’ils doivent pour joindre les deux bouts faire un peu de contrebande de cigarettes avec l’Espagne, ses parents le faisaient déjà, c’est une tradition, en fait ! Étonnant qu’elle ne se cache pas plus, mais elle doit se dire que des militaires du contingent sont coupés du reste du monde. Ca, c’est sûr, mais pour continuer dans cette histoire de contrebande, je me souviens d’un certain matin, il y avait un grand nombre de petits chevaux dans la cour de derrière, et on m’a dit à voix basse : « On les a amenés cette nuit d’Espagne, et ils repartent dans quelques heures pour l’Italie en camion. »

Lorsque j’étais arrivé à l’armée, j’avais déjà mon permis passé en 1958 sur 4 chevaux RENAULT ; et de plus en préparation militaire à peu près à la même période, on m’avait fait passer le permis militaire sur JEEP  et traction avant CITROEN. Le sergent major me fit comprendre que ce permis là n’était en aucune façon valable ici, je devais le passer comme tout le monde. Par contre j’appris avec plaisir à faire de la moto, cela ne s’improvise pas, ce n’était pas le tout de rouler sur la route, il fallait pouvoir manœuvrer entre des casques disposés sur le sol, sans mettre le pied sur le sol et en plus à chaque extrémité, il fallait réaliser un huit complet. Je devins disons correct, mais comme la plupart de mes collègues assez grands et minces (pour moi, ça n’est plus le cas aujourd’hui, Je pesais 64 kilos, et actuellement 30 de plus)étions handicapés par la hauteur de notre centre de gravité. Nous n’avions pas l’aisance de deux ou trois,  petits et râblés qui se jouaient des difficultés à coups de fesses. Bref, conduire une bonne partie de l’après-midi n’était pas du tout une corvée, au contraire, j’appris à utiliser le pont avant et la boîte de transfert qui permettait de raccourcir les rapports et d’avoir un couple suffisant pour se tirer d’affaire dans n’importe quel chemin creux ou même dans l’eau. La conduite du GMC était assez particulière, car la grille de vitesse est très particulière. En effet, nous n’utilisions pas la première dont on ne devait se servir qu’en charge, ce qui n’était jamais le cas. La seconde vitesse était très longue vers l’avant (de la position du point mort, il fallait pousser le levier pratiquement jusqu’au tableau de bord), la troisième, elle, se trouvait à sa droite vers l’avant aussi mais très courte, quant à la quatrième elle se trouvait en face vers l’arrière. Cette manipulation était beaucoup moins simple que celle de la JEEP dont la grille était la même que pratiquement tous les véhicules de l’époque à trois vitesses, levier au plancher. Il y avait bien une cinquième mais ici sur GMC celle-ci était bloquée mécaniquement par une tige soudée. Ceci je pense, pour éviter les trop grandes allures. Je regardais mes collègues manœuvrer et bien souvent les pignons de boîte hurlaient, les moteurs calaient ou bien encore roulaient dans les fossés. En deux mois, par contre tout un chacun pilotait comme il se doit, seulement aucun d’entre eux n’avait jamais conduit dans Bayonne ou autre part que sur notre circuit ou même dans la caserne, ce qui n’avait rien à voir avec la circulation urbaine. J’ai l’impression qu’à cette époque ça se passait toujours comme cela, ce qui fait que lorsque les chauffeurs recevaient leur affectation définitive, ils devaient se lancer seuls dans la circulation urbaine sans aucune expérience, ni personne pour les conseiller.

Nous continuions comme lors des classes à faire de l’ordre serré, du tir au MAS 36 au Boucau (plage militaire sur la rive droite de l’Adour) en face de Chambre d’Amour (toute une promesse), des sauts d’entraînement et à être présent à toutes les manifestations auxquelles participait la caserne de la Nive, sans oublier les prises de garde. Les prises de garde duraient 24 heures. En tant que planton de garde, Mis à part la guérite de l’entrée de la caserne il y avait divers points précis à garder, pour des laps de temps de deux heures et devions rester dans le poste de police de l’entrée où il y avait d’ailleurs autant de lits à étage qu’il y avait d’hommes en attente, nous y mangions même. Heureusement vu le nombre d’hommes encasernés nous ne prenions pas trop souvent de gardes. Il faut savoir aussi que le poste de garde était aussi responsable des consignés le jour et des prisonniers 24 heures sur 24. La prison était composée de deux cellules communes où il pouvait y avoir huit hommes, et de plusieurs cellules à une place pour les gradés. Il n’y avait pas de lit dans celles-ci mais un bat-flanc de bois légèrement incliné avec une cale vers le bas pour ne pas glisser et une couverture par homme. Il régnait dans ces cellules une odeur de renard prononcé très désagréable, je n’aurais pas voulu qu’on m’y envoie. Plus tard, j’ai eu droit à la prison, mais heureusement en cellule seul.

En tant que section auto nous ne participions à aucunes des corvées habituelles (corvée des abords, nettoyage des couloirs, des chiottes, etc.) La seule corvée qui nous était échue se trouvait être la corvée de pluches une fois par semaine pour les frites du lendemain, on se devait d’avoir chacun un couteau et nous nous répartissions la pluche et le coupage des frites. Les cuistots nous arrosaient abondamment de pichets de vin rouge, généralement la soirée se terminait en chantant. Maintenant que nous étions sortis des classes proprement dites, nous avions droit d’accéder tous les jours au « foyer du soldat » et comme en tant que « brevetés » nous touchions 50 francs, cet argent tout droit à ce fameux foyer, qui non seulement vendait des boissons (Cacolac en vogue et particulièrement de la bière !) mais aussi toutes sortes de produits ou objets, du savon, de la lessive, du cirage, des bérets « fantoches », on aurait dit des pastilles rouges. Lorsque nous eûmes des permissions du soir, dites de spectacle, il fallait se méfier de la PM de la coloniale (qui était cantonnée à la citadelle), car un béret trop petit ou pantalon rétréci aux chevilles c’était 8 jours garantis.

La piaule de la section auto était à l’étage de la caserne principale composée de trois corps de bâtiments perpendiculaires les uns par rapport aux autre formant un grand « U » entourant la place du rapport, nous étions bien loin du bâtiment des FCB qui est au dessus des fortifications Vauban et tout près de l’infirmerie de la coloniale où nous avions subi les diverses vaccinations, le TABDT par exemple, ainsi que fièvre jaune et typhus. Nous n’y pensions plus du tout et regardions avec compassion les pauvres recrues peiner à qui mieux mieux. J’en ai vu une fois quelques uns de ces nouveaux qui rentrant de marche, pleuraient. (Est-ce de rage ou d’épuisement, ou les deux, je ne sais ?)

Nous passions du temps certains matins à l’entretien des véhicules de l’école de conduite, au lavage, et éventuellement à repeindre les griffures ou résultats de petits accrochages. Nous nous faisions la main sur les groupes électrogènes, il n’y avait pas grand-chose à faire d’ailleurs. Dans le même temps, nous pouvions voir nos collègues « ti-ti-ta-ta »dans de command-cars faire des liaisons radio. Nous apprenions aussi à changer les pneus ; sur GMC ce n’était pas simple, un cerclage très particulier retenait le talon extérieur du pneu. Le pneu étant dégonflé, il fallait faire tourner le cerclage au marteau jusqu’à ce qu’il se trouve dans une position telle que des bossages sur la périphérie soient dégagés, ainsi on pouvait ôter le cercle puis le pneu. Par contre pour la repose, il fallait être très vigilant et prudent, car un cercle mal reposé sautait immédiatement lors du gonflage du pneu. Nous étions prévenus, c’est d’ailleurs arrivé une fois, le cerclage a explosé vers le haut et a touché la toiture du hangar, il aurait pu tuer, ça c’est sûr ! Cette fois là, si je me souviens bien, c’était le sergent qui avait placé le cercle !

Le principal souci de notre chef de corps, c’était l’instruction des radios, ce qui faisait que l’on nous oubliait un peu.

Fin février 1961, il y a bientôt deux mois que nous sommes arrivés à la section auto. On nous fait passer les épreuves théoriques de code, de mécanique sur groupe électrogène, puis enfin la pratique sur des groupes (nous en avions trois, deux portables et le plus imposant avec moteur Jeep Willys posé dans une remorque 1 tonne ;  la dite remorque se trouvait être entrainé par un GMC doté d’un matériel de transmission TRVM.2 ou 3.9.9 très performants, le dernier à la pointe de la technique de l’époque). Je me tirais très bien de toutes les épreuves, enfin nous passâmes  le permis toutes catégories, seuls trois d’entre nous n’obtinrent pas le poids lourd et cinq la moto.

 

 

 

A BAYONNE

Instructeur
 

Nous étions début mars et j’espérais bien être pris à la section auto comme instructeur. En effet, deux des trois instructeurs que j’avais eu partaient en AFN, il fallait donc les remplacer. Je ne tenais pas tellement à voir l’Algérie tout de suite, mais je fus exaucé, non seulement je devenais instructeur avec Claude BIZET, mais nous avions tous deux un presque gallon : maître-ouvrier. Ce presque gallon était représenté par un demi chevron bleu, on nous avait laissé entendre que nous aurions rapidement soit celui de première classe, soit directement de caporal. Je devenais maître-ouvrier transmetteur (tout le monde était transmetteur à la Nive) ; par contre pour ce qui est de cette dénomination de maître-ouvrier, elle n’est pas considérée comme un grade mais plutôt comme une reconnaissance de compétences, de plus cette appellation était assez rare dans l’armée.

Le caporal-chef qui avait été notre instructeur devenait notre collègue, et tout de suite nous nous sommes parfaitement entendus. Le sergent major Gimot et le sergent Battle sont devenus presque des amis, surtout qu’ils s’appuyaient très lourdement sur nous trois pour faire tourner la section. Le major avait sa famille en ville et il y était très souvent, quant au sergent (célibataire, un vieux de l’Indo)il était généralement fort occupé au foyer !

Après leur stage de saut à Pau, comme pour moi peu de temps auparavant, les hommes sélectionnés pour suivre la FRAC et la partie technique groupes électrogènes se sont donc suivis tous les deux mois. Je me suis rapidement aperçu que ceux qui étaient choisis n’étaient pas la crème en regard de ceux qui partaient en section radio ; il faut dire qu’une fois pris en dans cette section radio, ils subissaient des tests très contraignants pour estimer s’ils seraient ou non bons comme transmetteurs radio. Les non sélectionnés partaient soit pour l’AFN soit pour une caserne d’Épinal ou encore en Allemagne.

J’avais une petite idée de ce qui m’attendait quand j’avais suivi le stage, et je m’étais particulièrement appliqué à la prise de cours dans autant de cahiers que de matières. Je tenais donc un modèle tout à fait adéquat afin d’enseigner à mon tour ce que j’avais appris, n’oubliant pas toutefois d’y ajouter des compléments techniques que j’estimais être intéressants sans toutefois surcharger le cours. Cours qui, par contre, était très lourd en code de la route, c’était vraiment le « code armée » mais en tant qu’instructeur nous ne pouvions pas du tout le modifier. Il était constitué de longues listes de ce que l’on devait ou ne devait pas faire en telle ou telle circonstance, les modus-opérandi en roulage convoi, et j’en passe. Je peux citer les cas où il est interdit de doubler : dans les virages, au sommet d’une côte, sur un passage à niveau, sur une ligne continue, sur un croisement, etc. Vous savez tout cela mais sans avoir comme c’est le cas actuellement l’exemple visuel par des diapos, il était assez difficile d’inculquer à ces gars la relation entre ce qu’ils devaient apprendre par cœur et la réalité de la route.

Le pied, en revanche, c’était la conduite l’après-midi. Je me régalais. J’avais déjà, lorsque j’étais enfant toujours surveillé de près tous les gestes de mon père au volant et accepté toutes ses remarques sur la façon de conduire, comme par exemple de prévoir les ralentissements en levant le pied bien avant de freiner, chose que l’on ne m’avait pas expliqué en auto-école à Montpellier. Je dirais aussi qu’ayant déjà conduit avec les prémilitaires, j’étais déjà dégrossi, et n’avais pris que deux leçons en 4CV Renault qui m’ont permis d’obtenir mon papier rose qui coutait à l’époque 12 francs ! Par exemple aussi, bien qu’une loi récente interdise l’avertisseur en ville, mon père klaxonnait lui, dans les virages sans visibilité, et bien souvent encore, je l’imite, car je trouve très normal de prévenir.

 Les apprentis conducteurs avaient l’obligation de conduire avec leur casque léger, moi par contre, j’avais le droit de garder mon béret rouge. De même, au lieu d’être en treillis deux pièces, je portais comme mes collègues une combinaison de saut qui avait l’avantage de mieux couper le vent, mais l’inconvénient était pour aller aux toilettes ! En fait nous nous démarquions par rapport aux hommes, cela permettait aussi probablement, d’avoir un peu plus d’autorité. En conduite, c’était tout à fait nécessaire, et nous n’hésitions pas de donner des coups de bâton sur le casque à chaque erreur ou incartade !

En plus de tout cela ça n’était pas fatiguant du tout, et puis les super-sandwiches à l’omelette ne nous empêchaient pas d’avoir une faim normale le soir. Et pourtant, si je me rappelle bien, nous dînions à 17,30 h. Comme nous ne faisions plus d’exercices extraordinaires, les soirées étaient tout de même longues, la plupart du temps au foyer à boire des bières en regardant Zitrone en noir et blanc. Il y avait quantité de sous-off qui venaient boire et voire la télé, tuer le temps, quoi. Je n’avais plus de problèmes pour avoir des permes, mais la plupart du temps c’étaient seulement des 36 heures, c'est-à-dire départ de la caserne le samedi fin de matinée, et malgré mon nouveau rang, j’avais intérêt d’être parfaitement en tenue si je ne voulais pas la voir sucrée par l’adjudant de compagnie. C’était très strict, il faut le dire. Ce n’était pas pour rien que nous étions bataillon disciplinaire. Ces 36 heures étaient limitées en distance, elles ne devaient pas dépasser le département limitrophe. Pour moi, cela voulait dire le département de la Haute Garonne. Pour aller à Montpellier, je marquais donc sur ma perme: Saint Jean de Vedas Haute Garonne. Il aurait fallu être fort en géo locale pour me coincer, à la SNCF. Les employé de la gare rapprochaient tout de suite cette localité de Montpellier. Nous étions donc deux à faire de même, mais ça a toujours fonctionné sans pépin. Nous partions donc de la caserne le samedi midi et le train express, m’amenait directement à Montpellier (en payant 75%à l’époque comme tous les militaires). Par contre pour le retour, c’était une vraie galère, je partais le dimanche vers 17,00 h avec un omnibus pour Toulouse, là, attente d’une micheline pour Bordeaux avec arrivée à 23,30 h et puis attente en gare jusqu’à 6,00 du matin environ, d’un train de nuit venant de Paris  pour arriver à Bayonne à plus ou moins 8,00 h du matin. Ensuite c’était la course pour arriver à temps au premier rapport de la semaine. Les permissionnaires étaient attendus pour pouvoir les coincer tous les lundi matin s’ils étaient en retard au poste de police.

 Les parents au bout de quelques mois me firent cadeau d’une mobylette (mobylette jaune de base sans suspension et sans variateur). Je pus donc par la suite prendre soit des permes de spectacle, soit des permes non-mangeant, je pouvais ainsi me balader dans le coin. J’en ai fait des kilomètres, je suis allé visiter Cambo (les bains) par lequel nous passions pour l’école de conduite. Le nom de ce village m’était déjà connu car il y avait longtemps, André mon frère cadet avait eu en cadeau un livre sur le Pays Basque, on y racontait les exploits de « Chiquito de Cambo »fameux pelotari qui, entre autres faits remarquables,  avait emporté sa chistera dans les tranchées en 1914 et envoyait ses grenades vingt mètres plus loin que les autres, c’était devenu un héros. J’ai visité aussi Saint Jean Pied de Port. Ces villages du Pays Basques  si bien tenus avec leurs frontons et leurs toitures basses les piments pendant de celles-ci pour sécher me plaisaient énormément et je me disais : plus tard, je viendrais habiter dans ce coin. Je n’ai toujours pas réalisé ce souhait qui reste malgré tout vivace dans mon esprit. Je m’imaginais y élevant des chevaux, le rêve, quoi. Je suis aussi allé jusqu’à La Rhune d’où part un téléphérique ; je n’y suis pas monté car je n’avais que très peu d’argent, juste assez pour mettre du mélange dans le réservoir. Je suis allé aussi dans les landes jusqu’à Hossegor, j’ai poussé jusqu’à la frontière espagnole, j’y ai vu la BIDASOA fameuse par son ile des Faisans où Louis XIV épousa Marie-Thérèse. Le plus rigolo, c’est que très peu de temps après nous avons participé dans ce coin à une énorme manœuvre interalliée où, Français, Anglais et Américains se trouvaient engagés avec d’énormes moyens (à mon avis), on pouvait voir une escadre en mer au large de Saint Jean de Luz, nous nous trouvions à deux pas de la frontière sur la falaise face à l’océan. A ce sujet, j’ai une anecdote rigolote concernant les américains et leur « je m’enfoutisme concernant leur matériel ». Nous venions de sauter et les camions nous avaient amenés sur cette falaise dominant la mer ; un petit groupe de GI avec de nombreux véhicules monstrueux nous faisaient honte avec nos vieux GMC de 1944 et ils papotaient entre eux des bouteilles à la main, fumant des Chesterfield. Leurs véhicules étaient garés face à l’océan, le terrain herbeux en pente douce, au ras de la falaise surplombant la mer. Nous remarquâmes que l’un des camions un très gros WREKER de dépannage semblait bouger doucement. Nous hélâmes les GI à 150 mètres de nous pour le leur signaler. Ils n’y prirent pas garde. Le véhicule ayant réellement  décollé, nous criâmes vers eux avec de grands gestes. Un des hommes alors, se détacha du groupe et se dirigea tranquillement vers le WREKER, entre-temps, celui-ci avait pris de la vitesse, il commença donc à courir mollement, puis plus vite, le camion, maintenant dévalait la pente à toute vitesse. Le GI au bord de la falaise pour voir son camion s’abîmer dans l’océan. Il leva tranquillement les bras et se frappa les flancs et retourna doucement vers ses compagnons sans plus s’inquiéter ! Quand je pense qu’un officier nous avait fait fouiller un terrain assez accidenté après un saut pendant une journée, l’un d’entre nous avait perdu sa baïonnette, elle avait dû se planter profondément dans le sol. Je pense que seules des fouilles au XXXI ème siècle la trouveront ! Et oui à l’armée les pertes de matériel sont impardonnables, il vaut peut-être mieux perdre des vies ! C’est un peu ce que l’on ressentait de la part des officiers !

 En semaine, presque tous les soirs quand le temps était clément, je prenais ma perme non-mangeant et filais à BIARRITZ, j’arrivais à la « petite plage du bain de minuit » appelée aussi la « plage du rocher de la vierge » (petite plage, car à BIARRITZ  au nord et au sud de celle-ci il y avait deux plages immenses, la plage des Basques et la Grande plage). J’y retrouvais souvent des collègues,  nous mangions un sandwich devant les cabines en arc de cercle, puis nous nous mettions en « caleçon de bain » (ça s’appelait comme cela à cette époque) et allions nous baigner, en général, repérions les petites jeunes filles et nous installions tout près,  faisions les beaux, sans succès d’ailleurs. A postériori, je rigole en nous comparant à Aldo Maccione, tout à fait ça !...Nous n’avions pas de succès car, il faut le dire, les parachutistes avaient très mauvaise réputation dans le coin, réputation qu’ils avaient acquis au moment de L’Indochine, ils avaient fait plein de conneries, certaines très grave même à Bayonne et dans toute la région du Sud Ouest.

Le fait d’aller fréquemment se baigner, je finis par devenir un nageur tout à fait correct, d’autant plus que l’un de mes camarades était lui, très bon nageur, il avait déjà disputé des compétitions. A côté du rocher de la vierge, mais plus au large en face de la petite plage, il y avait un gros caillou qui semblait assez proche. Un jour, à trois, nous prîmes la décision d’aller jusqu’à ce rocher et de revenir. J’étais tout de même un peu inquiet car je savais qu’il y avait du courant parallèle à la côte, mais ça devait pouvoir se faire. Nous partîmes donc, tout de suite, je me rendis compte que le courant était réel, il fallait sans cesse rectifier notre cap si je puis dire et nous mîmes un temps fou pour arriver jusqu’à la petite ile, mais là oh surprise, nous ne trouvions pas d’endroit pour atterrir, il fallut la contourner pour enfin pouvoir grimper sur le rocher et souffler car, personnellement, j’étais crevé. Pour nous alléger un peu, nous laissâmes chacun un petit cadeau au rocher ! Et puis il fallut repartir, mais là, plus question de lutter contre le courant, nous nous laisserions aller en nageant vers la terre, point. Une chose à la quelle nous n’avions pas pensé, c’est que les marées montantes ou descendantes pouvaient nous inquiéter et c’est je pense que c’est ce qui nous est arrivé, nous avons nagé au moins une heure et c’est épuisés que nous avons enfin touché terre (ensemble, car nous nous encouragions sans arrêt). Nous étions sur la grande plage et c’est pieds nus assez frigorifiés que nous sommes rentrés dans BAYONNE. Nous savions qu’il était interdit de se balader en ville en maillot de bain, nous ne pouvions pas faire autrement, mais nous étions soulagés et avions hâte de retrouver serviettes et vêtement et de nous allonger pour récupérer de cette escapade dangereuse, personne ne nous remarqua. J’ai bien juré que l’on ne m’y reprendrait plus comme l’a si bien dit Lafontaine.

Je devins caporal deux mois après, deux chevrons bleus sur la manche. Il était assez remarquable que dans chaque session il y avait une majorité de gonzes de la même région, une fois par exemple, ils venaient du Sud-ouest, du Gers tout particulièrement. Lorsqu’ils revenaient de perme nous nous gavions de foie gras ! Une autre fois c’étaient ceux de Normandie qui revenaient avec de pleines valises de bouteilles de Calvados. Nous en avons eu qui nous ramenaient des Côtes du Rhône, des vins de Loire et j’en passe. Un tour de France gastronomique, si je puis dire ! Par contre, c’est bien connu, les militaires n’ayant pas d’autre chose à faire le soir se soulent la gueule ! Je dois dire qu’avec toutes ces bonnes choses qu’ils nous rapportaient, ou bien nous avions des indigestions, ou bien nous étions complètement ronds, mais c’était tard le soir dans la chambrée.

Puis, je passais caporal-chef, cela signifiait l’adjonction d’un chevron doré sur les deux bleus existants. Malgré tout la paye n’était pas terrible, car pour les PDL (Pendant la Durée Légale) nous n’avions droit qu’à des queues de cerises ! Avec ma « solde à l’air » j’en étais si je me souviens bien à moins de cent francs. Lorsque j’aurais dépassé la durée légale qui était de 18 mois, je deviendrais ADL (Au dessus de la Durée Légale), donc considéré comme engagé et aurais une vraie paye.

L’un de mes normands qui était fils de garagiste à L’AIGLE devint instructeur avec nous, il s’appelait Chardel. Il était marié, avait un enfant et si je me souviens bien touchait une prime de séparation. C’était un gai luron, il adorait faire la fête ou tout simplement chahuter. J’étais chef de chambre et lui adjoint. C’était nous qui organisions les chahuts, bataille de polochons, debout sur les armoires, les lits, quant encore, nous n’allions pas jeter les matelas de la chambrée d’à côté par la fenêtre, profitant d’une absence de leurs occupants. Une fois, nous avions bien bu et avions décidé pour nous dégriser de faire le parcours du combattant. Nous réussîmes tant bien que mal tous les obstacles, mais finalement arrivés à la fosse, nous y restâmes jusqu’au petit matin, incapables que nous étions pour nous en sortir. L’air frisquet du matin nous réveilla et pûmes enfin sortir !

En temps que chef de chambre, moi ou mon adjoint devait lors de l’appel du soir être en tenue pour accueillir le sous officier d’appel, répondre au pied du lit de chacun des membres de la section : « Présent couché.» Ceux d’entre eux qui n’étaient pas couchés devaient être au garde à vous au pied de leur lit et répondre tout simplement présent. J’avais décidé de gonfler ma mobylette, enfin son moteur. Un certain soir, étant en train de démonter le volant magnétique, j’entends l’appel qui arrive, je dis à Chardel : « tu fais l’appel. » Je saute dans mon lit avec mon moteur, ne sachant où le mettre. Le sous-off de semaine était le major Gimot, il fait l’appel, puis se dirigeant vers mon lit, tout en me découvrant me dit : « Eh Limasset, demain, il faudrait…Mais qu’est-ce que tu fais, tu couche avec un moteur, maintenant ! » Tout le monde a bien rigolé.

Un soir, il était près de 21,00 h, les gars étaient tous couchés, avec Chardel nous attendions l’appel et puis, par la fenêtre nous avions pu voir le ciel tout rouge de flammes très visibles. Nous étions en tenue 46 et nous secouâmes un des gars pour qu’il fasse l’appel à notre place et nous annonce en perme de spectacle. Nous partîmes en courant, sommes passés sans nous faire voir au poste de police, puis toujours courant arrivâmes sur les lieux du sinistre. Hallucinant, un grand immeuble de standing construit en carré sur quatre rues perpendiculaires avait tout son toit en flammes, les étages finissaient  d’être évacués lorsque nous arrivâmes, de grosses poutres calcinées encore enflammes étaient sur le trottoir au pied de l’immeuble. Sans arrêt des décombres enflammés dégringolaient sur la chaussée. Plusieurs grandes échelles sur camions étaient installés sur les quatre rues, les pompiers, là-haut arrosaient comme ils pouvaient, mais comme les flammes étaient impressionnantes, les échelles n’étaient pas suffisamment près. L’eau arrivait bien sur les toits, mais à mon avis pas assez au centre. Les pompiers installaient au moment de notre arrivée des échelles supplémentaires, des échelles métalliques semble-t-il gringalettes, c’était une chose que je n’avais jamais vu ; ces échelles avaient des supports plats comme des pattes d’araignée étalées sur le sol un peu comme des affuts d’artillerie. Par contre elles étaient aussi hautes que celles des camions. Nous étions là, tels de vrais badauds à regarder tout ce spectacle lorsqu’un pompier, probablement un officier vint vers nous deux et nous dit : « Je manque d’hommes, je vous embauche, vous allez monter sur cette échelle et aider à arroser. » Interloqués, nous sommes montés là-haut trainant le tuyau vide pourtant, mais lourd quand même. Une fois arrivés à destination on nous crie : « Accrochez-vous et tenez bon le tuyau ! » Heureusement que nous étions prévenus, mais lorsque la pression est arrivée, j’ai bien cru mourir, je voyais l’échelle qui tombait ! Mais non, elle avait seulement ployé de plusieurs mètres en arrière sous l’effet de la pression, et puis, il aurait fallu être quatre pour tenir ce putain de tuyau. En plus de cela, il y avait du vent, il faisait froid. Nous avons dû tenir à tout casser 20 minutes sur notre perchoir élastique. Nous fûmes relayés et pour nous réchauffer ils nous envoyèrent dans les étages rechercher pour les habitants certaines choses très importantes. L’un d’eux voulait tel classeur dans le bureau sur l’étagère du fond au cinquième étage droite, l’autre certains vêtements chauds dans l’armoire d’entrée du sixième en face, etc. Et nous voilà tous deux à grimper dans les étages interdits aux civils dans des escaliers type chute du Niagara. Impressionnant, la quantité d’eau qui déboulait sur les marches ! Nous étions les seuls militaires sur les lieux de l’incendie. Et, entre temps, la caserne de la Nive fut mobilisée, une quarantaine de gus en treillis et casques débouchèrent sur le site de nos exploits. Notre section faisait partie du lot, mais ils nous regardaient d’un air envieux alors que l’on nous servait de bons grogs au café d’en face. Ah, ce soir là je ne suis pas près de l’oublier, je revois encore Chardel débouchant d’une des porte d’entrée, les bras chargés de vêtements et un énorme soutien gorge sur la tête, à mourir de rire ! Pour en revenir à l’incendie, ça ne s’arrangeait pas, les lances n’obtenaient pas de résultats et l’immeuble tout entier semblait condamné. Mais celui-ci fut sauvé par la couronne d’Angleterre, car un navire de guerre mouillé dans l’Adour portait un gros hélico équipé incendie, justement. Celui-ci aspergea de la mousse carbonique. Je ne dirais pas en deux coups de cuillère à pot, c’était bâclé, mais presque. Les pompiers purent enfin grimper dans le dernier étage et les combles qui étaient détruits totalement. Pendant ce temps là, au bistrot, nous les héros étions en train de nous souler la gueule gratuitement !!!Le lendemain, nous dûmes payer le coup à toute la section, y compris le major et le sergent ! La veille, nous étions retournés avec l’équipe dépêchée par la caserne et on ne nous a pas inquiété pour être sortis sans perme.

Malgré tout, dans la section, nous restions des militaires et nous allions régulièrement au VIEUX BOUCAU faire du tir, du lancer de grenade et même s’essayer au lance roquette anti-char le LRAC. En temps qu’instructeur, il fallait être instructeur jusqu’au bout. Je n’avais jamais réussi à lancer correctement la grenade offensive (grenade en tôle peu dangereuse en plein air, car ne donnant pas d’éclats par rapport à la grenade en fonte dite défensive) dans les ronds tracés indiquant la cible. Donc, à chaque fois, c’est moi qui faisais la démonstration. Je dégoupille, garde la cuillère bien en main, puis la lâche, déjà, les types reculent un peu, quand je l’envoie d’un large mouvement par-dessus l’épaule, ils reculent franchement tout en se regroupant derrière mon ombre si l’on peut dire, car avec moi, seulement avec moi cette vacherie de grenade part indifféremment à droite ou à gauche, jamais là où j’ai visé. Les gars étaient prévenus par mes collègues, et quand elle pète à 30 mètre de l’endroit visé, tout le monde respire. Je dis : « Alors à vous, vous avez vu ce qu’il ne faut pas faire ! »  Nous faisions en général deux sauts par session, là, d’ailleurs la plupart des sections y participaient. Les bahuts nous amenaient à l’aéroport de BIARRITZ-ANGLET. Avec un ou deux collègues instructeurs fanas comme moi, nous nous arrangions pour faire passer nos section les premières, nous grimpions donc dans le Nord Atlas tout équipés. Certains officier faisaient de même et avaient le même but, sauter deux fois, voire plus. Le zinc nous larguait sur la DZ d’HASPAREN. Nous faisions le brassage rapide, et tâchions de trouver un GMC pour l’aérodrome. Et nous nous mêlions avec d’autres sections. J’ai pratiquement réussi à faire deux sauts chaque fois, quand ça n’était pas trois. Pour moi, c’était vraiment le pied, j’arrivais presque toujours debout et j’étais content de moi. Par contre l’administration militaire ne nous comptait qu’un saut par jour. J’ai  compté à l’époque, à mon départ pour l’Algérie que j’avais réalisé 49 sauts les non homologués y compris.

En 1961, il arriva deux événements particuliers qui touchèrent les paras de BAYONNE, ce fut l’affaire de BIZERTE où des paras de la coloniale furent massacrés en l’air alors qu’ils n’avaient aucun moyen de se défendre. Par contre, arrivés au sol, les valides se sont déchaînés !

En 1961 il y eut en France un vent d’insurrection, presque un début de guerre civile, des communistes (c’est ce que l’on nous a dit s’étaient emparés de casernes de la région parisienne et étaient installés dans des chars d’assaut.) Toutes les casernes du Sud-ouest furent armées, prêtes à embarquer dans les avions qui étaient déjà regroupés dans différends aéroports. On nous avait affecté un MAS avec 90 cartouches, si je me souviens bien, il y avait aussi des grenades. Le fusil était  enchaîné au pied du lit avec un cadenas dont nous possédions la clef. Nous sommes restés en alerte plusieurs jours et étions très inquiets à l’idée de sauter sur PARIS !!! Grâce à Dieu, cela ne s’est pas produit.

Lorsque nous passions à table, les diverses sections se tenaient en rangs devant la cantine, attendant que l’officier de semaine nous donne l’ordre de pénétrer dans celle-ci. Cette fois ci, c’était le capitaine Vétorin pour ma malchance. Celui-ci avait l’air très vache, le crâne totalement rasé et toujours une badine de bambou à la main, on voit le genre. Or, ma section était assez indisciplinée ce jour là et ils faisaient le souk. Le capitaine hurle : « qui commande cette section », je répond : « moi mon capitaine, caporal chef Limasset .» « Allez, tu vas voir comment on doit commander, grimpe avec moi. » En face de la cantine il y avait le grand talus de terre des fortifications Vauban et en haut le parcours du combattant. Le capitaine est arrivé avant moi en haut, il déboutonne ses épaulettes et jette ses barrettes au sol. J’arrive près de lui et avant même que j’aie eu le temps de réaliser, il me décoche un de ces coup de poing en pleine figure, j’en ai vu des petits oiseaux pendant un moment. Rapidement le capitaine était redescendu et se tenait devant la porte de la cantine. J’avais saisi, mon équipe aussi, mon œil au beurre noir m’a fait mal quelques jours. Je devais avoir à faire avec lui encore deux autres fois, mais pas du tout dans le même contexte.

Claude Bizet et moi savions que nous étions sur le point de passer sergent, ce avant de partir en AFN. J’en étais content, mais il m’arriva un pépin qui aurait pu être très grave.

 

 

 

 

A BAYONNE

Alcool et méfaits 

 

La session que nous avions cette fois-ci était composée en majorité de gus de Normandie ; de retour de leur première perme, la plupart avaient dans leurs valises des bouteilles de Calvados, j’avais déjà évoqué ceci. L’un d’eux, même, en avait quatre ! Dès le lundi après déjeuner, dans la piaule, ils commencèrent à les sortir. La majorité de ces bouteilles étaient remplies de Calva de l’année, c'est-à-dire à un degré alcoolique très élevé, de l’ordre de 70 °. Nous commençâmes tous à gouter l’une ou l’autre au goulot (nous n’avions pas de petits verres !!!) car nous ne craignions pas les microbes avec ce type de boisson. J’aime bien l’alcool fort, mais là, il faut dire comme disait Bernard Blier : « Ca c’est une boisson d’homme ! » Attention, quand ça passe dans le gosier, il faut se méfier, ça racle sec, ça arrache, même ! Enfin, c’est tout de même assez imbibés les uns et les autres que nous partîmes en conduite à Hasparen comme les autre jours. J’étais tout de même conscient qu’il fallait que je me méfie, car je me sentais un peu flotter ! La majorité de mes gars étaient dans un état semblable au mien. Je me disais, on va faire attention, voila tout. Nous sommes arrivés sans encombre sur le lieu de conduite, avec mes collègues instructeurs, nous disposons le panneau de départ, je prends le second panneau dans ma jeep avec seulement un élève car le panneau est imposant avec son socle. L’élève est derrière moi, je me dirige donc vers l’extrémité du circuit pour y disposer ce panneau. J’oublie alors mon état alcoolisé et roule comme d’habitude, au moins, c’est ce que je pense. Puis arrive un long virage à gauche en descente, chevauchant un ruisseau avec un petit pont, on imagine bien le tableau, la visibilité est parfaite. Je suis emporté par la vitesse, prends la courbe un peu vite, je pense, mais ne réalise pas que j’arrive derrière un véhicule roulant assez lentement. Je freine malgré tout, mais beaucoup trop tard et percute l’arrière de la Citroën 2 chevaux qui me précédait. Celle-ci fait environ dix mètres et va atterrir deux roue sur le fossé, deux roues sur la route. Un couple assez âgé en sort, environ la cinquantaine. La dame se tient le cou. En effet, sur le choc, le siège de la Deuche s’est cassé et tous deux se sont retrouvés couchés, c’est ce qui explique le basculement  dans le fossé.

D’un coup, je suis totalement dégrisé et suis tout à fait conscient de la responsabilité que j’ai eu dans cet accident. Les deux personnes, malgré leur âge sont des jeunes mariés en visite dans le Pays Basque, pour eux, ça n’est pas très réussi. Je ne sais que faire pour eux, malheureusement, je ne peux rien. Pour eux, l’Armée est responsable, mais la Deux Chevaux n’a pratique ment rien, le pare-choc pourtant fragile est à peine marqué, seul le siège avant est à remplacer, en effet, comment conduire sans dossier ?

Là-dessus,  le sergent major arrive avec le GMC et tente de minimiser les faits, il affirme aux deux personnes que je ne bois pas, et qu’il faut mettre ce regrettable accident sur le compte d’une faute d’inattention. Entre temps à la ferme habituelle des casse-croutes, on a pu téléphoner à une dépanneuse. Entre temps, le major a rempli le constat, la dépanneuse enfin charge la Deuche ainsi que ses passagers. Ensuite, nous avons repris le cours habituel de nos après-midi de conduite.

Le lendemain au rapport j’apprends que le caporal chef  X écope de trois semaines de prison. Tout cela veut dire que je vais passer mes nuits en taule, mais que je continuerai à travailler normalement les journées, mais aussi que samedi et dimanche, je les passerai au poste de police.

Trois semaines plus tard au rapport, toujours au rapport, on annonce la nomination de mon collègue Claude Bizet comme Sergent. Le major m’explique que j’aurais dû aussi passer sergent, mais que c’était dans la logique des choses et que je ferais mieux de m’écraser dans mon coin en me faisant oublier.

Entre temps, les jours passaient, ronronnaient sans trop de heurts. Nous étions fin octobre, le 24 octobre pour être précis, lorsqu’un après-midi, rentrant de conduite, un planton me fait savoir que le capitaine Vetorin veut me voir. Je n’augure rien de bon de cette demande, je m’interroge sur la bêtise que j’aurais pu commettre ces derniers jours. De toute façon, je verrai bien, il faut y aller. Je frappe à son bureau. Entrez me répond-il. A peine entré, il me dit : « Assieds-toi. » Qu’est-ce que ça veut dire, pensais-je ?

Il déplie un télégramme. Mon visage se glace immédiatement, quelle nouvelle horrible vat-il m’annoncer ? « Voilà, me di-il, je lis ce télégramme de tes parents. Petite sœur décédée, attendons ta venue. »

Le ciel m’est tombé sur la tête. En plus, j’ai deux petite sœurs, elles n’ont pas le même âge, c’est vrai, mais je n’ose décider laquelle des deux est l’objet de cette nouvelle écrasante. En effet, l’une a cinq ans de moins que moi Marie-Thérèse, ça a donc toujours été ma petite sœur, puis beaucoup plus tard est né ma dernière sœur Marie-Madeleine, l’avant-dernière de la famille. J’ai bien deux petites sœurs.

Le capitaine a des paroles de consolation qui m’émeuvent, mais ça n’enlève rien au chagrin qui m’étreint brutalement avec en plus ce doute affreux. Il me tend une perme toute signée en me disant : « Mets ce que tu veux, tu rentre quand il le faudra. »

Peu de temps après, je suis dans le train, les larmes sont continuelles avec en plus cette interrogation constante : Qui ?

Sitôt arrivé rue Fréderic Fabrèges, on me conduit (je ne sais plus qui) à la chambre d’en bas, le long de l’allée de service. Une odeur bizarre m’accueille,  et je trouve, oh horreur ma petite sœur Marie-Madeleine en communiante allongée, froide, mais qui, pourtant semble vivante.

La vie des parents, de ma fratrie, la mienne avait pris un rude coup, j’en suis, aujourd’hui encore marqué.

Après les obsèques, je ne suis pas resté trop longtemps, la douleur de mon père était abominable, mais, ce que j’ai trouvé pire c’est le fait que maman dont on lisait la douleur dans les yeux soit si stoïque. Je trouvais cela pathétique, je ne savais que dire, que faire, mes parents n’étaient pas seuls, j’ai fui, je l’avoue.

De retour en caserne, j’essayais d’oublier, mais on ne peut oublier. Je me retrouvais souvent, plus souvent qu’avant au foyer à écluser des bières avec les copains, il m’arriva de faire des concours : A qui en boirait le plus. On rentrait dans la chambrée bien arrondis, mais le lendemain un énorme sentiment de culpabilité m’étreignait, quitte peut-être à remettre ça le soir ! Heureusement, je n’étais pas riche, ça limitait la casse. Malheureusement à cette époque  là, boire était le sport favori de bien des gens et tout particulièrement des militaires.

Nous faisions au moins deux fois par semaine de l’ordre serré. Nous allions d’abord à l’armurerie prendre pour chacun un MAS 36, CR 39(à crosse en alu), moi y compris, puis, nous partions manœuvrer dans les larges allées de la caserne, pratiquement toutes goudronnées sauf celles encadrant la place centrale du rapport qui étaient pavées. En temps que commandant la section, je me mettais le fusil sur l’épaule et donnais les divers commandements : « A mon commandement… » Ca c’était la phrase rituelle de début, puis : « Armes sur l’épaule---Droite. » Les hommes, en quatre temps, montaient l’arme sur l’épaule, ensuite on pouvait faire redescendre l’arme au pied, puis repos, puis de nouveau : « Garde à vous. » puis de nouveau arme sur l’épaule, puis le présentez armes, etc. Une fois, étant un peu distrait, j’ai commandé, l’arme étant au pied : « En avant—Marche. » J’aurais dû commander avant de mettre l’arme sur l’épaule. Mais ce commandement est possible, car au en avant, les hommes auraient dû mettre l’arme à la hanche. Ayant commandé le en avant marche, les hommes après avoir entendu un des hommes dire : « on traîne. » firent traîner les crosses par terre, nous étions sur la partie en pavés, et ça a fait un beau potin ! Une fenêtre s’ouvre, manque de bol, c’était le capitaine Vétorin ! L’homme qui avait dit on traîne s’appelait Schweitzer, il était de Strasbourg, il aimait déconner, se moquer. Parfois, il m’appelait Chien-Chef ! Une fois avec ce garçon et un autre gus nous avions décidé de poser une perme pour Paris, ils voulaient faire la foire un petit peu, moi, je voulais faire une visite familiale. Nous avions fait le voyage ensemble et étions en train de nous donner rendez-vous pour le dimanche soir lorsque nous entendîmes une voix féminine nous héler : « Alors, les bérets rouges on ne salue pas un officier ? » Nous vîmes alors une Lieutenant Colonel des AFAT (Auxiliaire Féminine de l’Armée  de Terre que les bidasses nommaient : Animal Facile à Tripoter !) La répartie de Schweitzer cingla : « Moi, je ne salue pas les femmes. » Entre temps, l’autre acolyte et moi avions salué. Le Lieutenant Colonel nous fit sortir nos cartes d’identité militaires et releva nos coordonnées. Sur le moment il ne se passa rien d’autre. Le lundi suivant, de retour à la caserne, nous étions tout de même un peu inquiets, mardi passe, puis le reste de la semaine. Le vendredi matin, le capitaine Vétorin nous fit appeler tous les trois dans son bureau. Là, je me suis dit : « On est bons. » Le capitaine nous fit entrer, nous saluons, restons au garde à vous. Alors prenant la parole : « Repos, alors comme ça on ne salue pas les femmes. » Tout cela dit d’un ton goguenard. « Bon que je ne vous y reprenne plus. » Dit-il en jetant à la corbeille le motif de l’AFAT. Je ne fais pas de commentaires sur cet événement somme toutes, à postériori assez rigolo.

Il allait m’en arriver une qui aurait dû me calmer, mais non !

Au mois de Novembre, j’apprends que ceux de ma classe ma classe sont sur le point de partir en AFN. Un sous-lieutenant qui faisait partie du lot organise dans les locaux de la FCB (là où j’avais fait mes classes, si vous vous souvenez) un pot auquel participent tous les partants. Ce pot est prévu à partir de 10,00 h. J’ai bien l’intention d’y participer, mais j’ai cours jusqu’à midi.

Sitôt mon cours enlevé, je file en Jeep jusqu’à la FCB. J’arrive au pot, tout le monde rigole et on m’accueille en rigolant : « Pas de chance pour toi, plus de Whisky, plus d’amuse-gueules, plus d’eau, plus de glaçons, mais tu as quand même de la chance, il reste du pastis. » Je suis un peu dégouté, ils auraient pu penser à moi. « Pour nous rattraper, bois ce verre cul-sec. » C’est un de ces verres duralex bien connus à l’époque rempli de Pastis. Je ne me suis pas dégonflé (c’est malin, ça !), j’ai très rapidement été inconscient de ce qui m’arrivait. J’ai su plus tard que l’on m’en a fait boire un second, toujours cul-sec !

On m’a redescendu inconscient dans ma chambrée. L’après-midi, le major tente de me réveiller pour partir en conduite, peine perdue. De retour de la conduite, il tente à nouveau. On m’a raconté qu’il a même été jusqu’à me vider un extincteur à eau dessus, sans résultat. J’étais bel et bien en comas éthylique ! En y repensant maintenant, cela aurait pu avoir des conséquences sur ma vie ! Et pourquoi mon chef de section n’a-t-il pas contacté le service médical ? Je suis resté encore inconscient le lendemain. Quand je me suis enfin réveillé, j’avais très mal à la tête, c’est tout. A postériori, je revenais de loin. Je ne pense pas qu’aujourd’hui ce genre d’événement pourrait arriver, la prévention sur l’alcool est heureusement beaucoup plus présente aux esprits.

Peu de temps après, je fus reçu par le médecin militaire car j’avais depuis plusieurs mois une forte douleur au talon droit. Celui-ci diagnostiqua une verrue plantaire et m’envoya vers un autre médecin militaire de la coloniale, cette fois-ci. On m’emmena à la Citadelle (qui surplombe Bayonne) d’où on a un vue sur toute la ville. Je fus accueilli par un officier supérieur, chirurgien  de sexe féminin, et, ce qui ne gâte rien très jolie. Elle n’y alla pas par quatre chemins après m’avoir fait une prise de sang, puis une insensibilisation locale prit un bistouri électrique et creusa dans mon talon un trou qui me semblait aussi gros que mon pouce et très profond. Elle remplit ce trou avec un genre de graisse noire. On aurait dit de la graisse graphitée à roulements ! Ensuite, pansement très important avec l’interdiction de marcher. Je devais revenir dans quelques jours pour contrôler l’état de la plaie. Retour à la caserne de la Nive. Plus question de cours ou de conduite, qu’est-ce que je me suis ennuyé tout seul dans la piaule, la journée. On m’apportais mes repas et c’est à cloche pieds que j’allais me laver succinctement.

Lorsque je retournais à la citadelle, Le commandant médecin trouva la plaie correcte me refit un pansement assez volumineux et par-dessus, un plâtre. Me voilà beau ! Et puis elle me donna une « convalo » d’un mois, avec l’injonction de ne pas poser le pied par terre si possible.

Le temps de faire ma valise à la caserne, on me déposa à la gare, et zou me voilà parti pour Montpellier. Du coup mes collègues allaient partir sans moi en AFN ! J’étais content et pas content, par contre, maman elle, en était tout à fait satisfaite.

Lorsque je revins après cette super perme, perme dont je n’ai pas pu profiter pleinement, car avec des béquilles, pas de sport possible, style cheval ou randonnées, encore moins natation à Palavas, la saison ne s’y prêtais pas. Comme on dit, je glandais comme je pouvais, n’ayant pas de copains disponibles, quelques uns faisaient des études comme Doudou en médecine, un autre était à Ardouanne en stage de conduite d’engins Travaux Publics, un autre, Bernard Famisier était devenu directeur d’un Carrefour en région parisienne, quant encore ils n’étaient pas comme moi à l’armée. L’un dont j’ai totalement oublié le nom était parti en AFN dès 1959 dans les commandos para avec Bigeart. Je me suis donc embêté, il faut le dire. Je me souviens que j’avais dessiné une voiture futuriste que j’avais ensuite modelé en plâtre. Elle mesurait environ 30 cm, je l’avais peinte en noir brillant. Maintenant, je la revois encore, elle avait un avant un peu comme une DS 19, quant à l’arrière, on dirait maintenant une Audi.

C’est presque avec soulagement que je suis reparti à Bayonne, immédiatement on m’envoya à la Citadelle ou ma chirurgienne m’enleva le plâtre, trouva la cicatrisation incomplète, me refit un pansement, sans plâtre mais avec interdiction de conduite. Je pus reprendre les cours et me fis trimbaler pour les départs et retours en conduite,  je continuais part contre ma tâche de moniteur et aussi d’instructeur, là sans aucun problème. Mes copains de ma classe étaient partis en différents points d’Algérie. Seul Chardel était resté parmi les instructeurs que j’avais laissé lors de ma perme exceptionnelle de convalo. La vie continuait tranquillement, nous arrivions à l’année 1962, j’étais toujours à Bayonne. Là, j’ai quelques trous de ce qui avait pu se passer pendant le laps de temps où j’attendais mon départ pour l’AFN, ma toubib avait mis son veto pour un départ immédiat, tant que la cicatrisation n’était pas totale.

 

  

 

SECONDE PARTIE

 En ALGÉRIE

 

                         AÏN EL AFFEURD 

 

C’est ainsi qu’arriva le 19 mars, c’étaient les accords d’Évian, le cesser le feu théorique. Cela rassura ma mère, mais j’appris qu’il n’y avait pas grand-chose de changé là-bas. Il y avait toujours autant d’échauffourées (si l’on peut dire), il y avait encore des morts des deux côtés. Il faut savoir que du côté algérien, il y avait deux factions : le FLN et le MNA (le premier c’était le Front de Libération National, le second je ne m’en souviens plus, mais très proche) ces deux entités se combattaient en même temps que l’OAS les combattaient et tentaient de leur ôter leurs moyens d’action. L’OAS était plus ou moins soutenue par l’armée et surtout par la Légion étrangère, enfin ses officiers dans la région de l’Oranais.

C’est sur ces entrefaites que je reçus mon ordre de mission pour la 79ème CTDM (Compagnie de Transmissions Des Troupes de Marine). Je devais aller prendre un bateau à Port-Vendres. Sitôt arrivé avec un paquetage assez réduit dans un sac marin kaki, je me présentais à la première guérite militaire du port. Immédiatement, un officier me reçut et me dit : « Les dockers sont en grève illimitée et le bateau que vous deviez prendre n’est pas encore chargé et n’est pas près de partir. Voilà ce que vous allez faire, vous partez immédiatement pour Marseille, le Sidi Bel Abbès est prêt à prendre le large, vous vous présenterez au centre de dispatching avec cinq hommes ici présents dont vous aurez la responsabilité jusqu’à l’embarquement à Marseille. » En effet un marin, deux biffins et deux légionnaires étaient là et attendaient mon bon vouloir ! J’étais Caporal-chef et j’étais donc le plus gradés des six. Mince de responsabilité !

Nous sommes repartis le jour même sur Marseille. Le train est sans arrêt jusqu’à Montpellier, je préviens les gus lorsqu’ils y descendent de pas faire les cons. J’étais inquiet de la responsabilité que l’on m’avait donnée. Heureusement, lorsque le train repart, ils sont tous les cinq dans le train. Nous arrivons à Marseille. A la Gare, des PM nous repèrent et nous emmènent dans un camion direction le camp de dispatching de Sainte Marthe. C’est de Sainte Marthe que sont partis la plupart des gars vers l’Algérie. Sitôt arrivés on nous annonce aussi qu’il a des grèves et que notre bateau ne partira que dans huit jours. On nous indique un N° de bâtiment où nous pourrons coucher. On nous prévient que dans ce camp, c’est un peur le « bordel » et qu’il faut faire gaffe aux pickpockets, même la nuit, je reste malgré tout responsable des cinq gus jusqu’à l’embarquement et à l’appel sur le bateau. Il es l’heure de la croute, nous partons tous les six vers la cantine. C’est déguelasse, immangeable. Nous parons ensuite vers le lieu où nous devrons coucher, pas triste, mais je me couche un peu angoissé, mon portefeuille sous le traversin, je n’ai pas grand-chose, mais tout de même. Dans la nuit, je sens quelque chose sous ma tête, raido, je jette ma main sous le traversin et choppe une main, je serre fortement en gueulant, le type fout le camp, je pense que c’est un civil. Il a tout de même réussi à me piquer un cran d’arrêt à ressort que j’avais acheté l’après-midi à un marchand ambulant à l’entrée de Sainte Marthe. 

Le matin suivant, je me dis que je n’ai pas grand-chose à perdre et propose aux cinq gars de faire ce qu’ils voulaient, mais qu’il était important qu’on se retrouve devant les camions une heure avant le départ de ceux-ci pour le port. Ils sont tous d’accord, j’ai de la chance, ils sont braves et je pense que je peux conter sur eux. Je quitte le camp, la garde me demande où je vais, je dis : « je suis en perme libérable. » Ils n’en demandent pas plus, surtout que c’est vraiment le boxon dans ce camp, je n’ai jamais vu cela !

Je file à la gare, traînant mon sac marin, là, encore une fois, pas de soucis, on me donne mon billet pour Montpellier Aller et Retour. Me revoilà chez mes parents pour huit jours encore, ma mère est radieuse.

Les huit jours ont passé très vite, me revoilà à la gare de Marseille, re-camion pour Sainte Marthe. Une heure après je retrouve les cinq gus, je suis rassuré.

Arrivés au port, nous sommes surpris par la petite taille du cargo qui doit nous emmener jusqu’à Oran. Le Sidi Bel Abbès est un transport de moutons, après avoir dûment noté nos noms et affectations on nous dirige vers la cale où nous attendent une multitude de transatlantiques déjà dépliés. L’ambiance n’est pas vraiment sympa, et surtout, ça pue le mouton, la chèvre, je ne sais pas trop, mais immédiatement tout le monde râle. Le bateau n’a pas encore bougé, mais il y a des gonzes qui déjà commencent à vomir. Tu parles d’un mélange d’odeurs, pas triste !

Le cargo décolle du quai, puis avance à petite vitesse dans le port, là, ça devient insupportable, la moitié rendent ce qu’ils ont consommé à Sainte Marthe, pourtant le bateau ne bouge pas d’un poil. Ensuite, petite houle, mais sympa, mais attends, on arrive dans le golfe du lion au bout d’une heure, là, je reconnais, ça bouge, mais tout de même ! Dégouté par ces effluves abominables, je bouge un peu, laissant mon sac, de toutes façons il appartient à l’armée, j’ai sur moi toutes mes richesses. Je prends diverses coursives et arrive enfin sur le pont où il n’y a pas grand monde, mais suffisamment pour prendre uns douche de dégueulis. Pardon pour  l’image, mais, c’est la stricte vérité, j’ai fini par passer la majeure partie de mon temps là sur le pont. Lorsque la cloche annonce les casse croutes, je n’ai pas longtemps à attendre, remonte ensuite sur le pont admirer la mer à peine formée, puis plus forte au cours de la nuit, je suis allé dormir dans u n rouf, à moitié assis, puis dès le matin suis revenu sur le pont, maintenant, c’est quasiment la tempête, le bateau roule beaucoup. J’imagine ce que ça doit être en bas, l’enfer, je pense ! J’ai totalement perdu de vue les cinq gonzes que j’avais convoyé. Je ne les ai d’ailleurs jamais revu.

Trente six heures de navigation et à la proue, on voit la côte, Mers El Kebir, nous voilà Algérie, je ne suis pas très impressionné, seulement un peu comme un touriste. C’est vrai, je me sens touriste et je regarde de tous les côtés, sans en perdre une miette. Le pire quand le cargo a mis en panne, il me faut redescendre en cale, j’attends une bonne demi-heure que la plupart des gars soient sortis par les toutes petites porte découpées dans la carène, je descends en tentant de retenir ma respiration. Je me garde de faire une description, c’est tout simplement l’apocalypse !!!Je retrouve sans trop de peine mon sac marin tout crotté (c’est peu dire), dans une des coursives, il y a un jet d’eau, je lave mon sac le mieux possible.

Je mets enfin les pieds sur le sol d’Afrique, plus précisément d’Algérie ! Les quais de Mers El
Kebir sont encombrés d’un tas de choses, surtout de caisses de l’armée de terre, de la marine et même de l’aviation. J’ai d’ailleurs quelques temps plus tard que des caisses contenant trois Alouette en pièces détachées ont été volées sur ce même quai ; ce qui fait que lorsque l’on voyait en l’air une Alouette, on pouvait toujours se demander qui était aux commandes ?

Des camions Citroën U 55 nous emmènent au camp de dégroupage, j’ai beau me torturer, je ne peux plus me souvenir de son nom, je crois bien que c’était aussi un nom de saint. Cela n’a pas une grande importance toutefois. Par contre ce camp est situé en dehors d’Oran même, il est dans une zone de villas cossues. Ce camp est autrement plus accueillant que celui de Marseille, la nourriture y est correcte, mais malheureusement pour moi, dès le premier soir j’attrape la dysenterie, peut-être est-ce l’eau du bateau ? Les bureaucrates n’arrivent pas à trouver quelle est mon affectation, il est probable que l’écriture de mon ordre de mission est illisible. Je suis resté une semaine complète ici dans ce camp, jusqu’à ce que la caserne de Bayonne leur donne l’affectation précise.

Deux gars de la compagnie où je suis affecté viennent enfin me chercher avec un quatre-quatre Renault. Ce petit camion a la particularité d’avoir une cabine dont le toit est remplacé par une bâche. Le plateau arrière bâché comporte deux bancs repliables, je suis seul à l’arrière, mais diverses victuailles, des pains, des boîtes de conserves me tiennent compagnie.

A la sortie d’Oran nous roulons plein Sud, au bout de quelques kilomètres, une chaîne de collines parallèles à la mer ne nous barre pas le passage, mais indique que l’on va changer de paysage. La route de l’autre côté des collines arrive dans une plaine. Presque adossé aux collines un énorme panneau publicitaire beaucoup plus long que haut cache des nids de cigognes, peut-être dix, je suis très étonné. J’avais vu une fois deux ou trois cigognes en Alsace avec ma marraine, mais jamais une telle quantité. Dans le même temps, j’ai pu voir de nombreux Aloès avec de longues tiges de plus de 10 mètres, mais pas encore fleuris ; j’en avais déjà vu en France, très précisément à Béziers sur la pente surmontée de la cathédrale, mais nettement moins grands.

Puis la route devient assez étroite, très bombée, bordée de platanes à la mode métropolitaine, nous sommes sur la route de Sidi Bel Abbès. J’ai déjà donné avec le bateau du même nom. Toujours sur la plaine, on dépasse l’aéroport de la Seña. Puis nous arrivons au bout de quarante cinq minutes nous tournons à gauche à travers une grande cimenterie qui s’appelle « La Cado », nous la traversons, puis entamons la côte d’une petite route de montagne assez raide. Un quart d’heure après nous arrivons au sommet, enfin dans un douar, ma nouvelle compagnie est elle, logée dans une ancienne ferme qui domine ce village qui s’appelle « Aïn el Afeurd », cela veut dire me dit-on l’œil du taureau. La compagnie est entourée d’une double rangée de barbelés avec m’a-t-on expliqué par la suite des mines entre les deux.

Cette compagnie de transmission est un peu particulière, elle gère un stock impressionnant de futs de 200 litres d’essence ainsi que de piles pour les postes de radio, d’autre part, elle réalise toutes les ouvertures de route de tous les militaires de la région chaque matin avec des command-cars radio quatre-quatre et six-six, la compagnie est dotée aussi de deux jeep coupe-fil avec affut de mitrailleuse de 30’’, elles étaient prévues pour précéder les ouvertures de routes à haut risque. Cette compagnie comporte un grand nombre de transmetteurs radio (que l’on appelle simplement radios), de quelques personnes affectées aux bureaux, de plusieurs chauffeurs, de trois gars chargés d’entretenir le parc automobile (dont je fais d’ores et déjà partie). La compagnie possède un parc de véhicules très important, de l’ordre de 90. La compagnie avec son encadrement comporte moins de 80 personnes. Il y a très peu de chauffeurs, ce qui fait que très souvent pour les ouvertures de route, les radios conduisent eux-mêmes leurs command-cars (avec ou sans permis, d’ailleurs). Il y a très peu d’officiers, le capitaine (qui a rang de chef de corps car la compagnie est dénommée : formant corps, car elle est totalement autonome) et cinq officiers subalternes. La compagnie fournit des gros engins de transmission (TRVM-2 ou 3-9-9) posés sur GMC avec leur remorque contenant le groupe électrogène alimentant l’unité de transmission. Ces engins sont déposés aussi bien à l’ALAT à Sidi Bel Abbès, dans plusieurs casernes de la Légion et dans un grand nombre d’autres sites militaires. Ces véhicules sont statiques. Il suffi que la compagnie en assure l’entretien. Le capitaine est secondé par deux lieutenants, trois sous lieutenants, un adjudant de compagnie, trois sergents, quatre caporaux-chefs dont ma personne. Le reste est composé d’hommes de troupe. Je suis dorénavant dans la coloniale. Je dois déposer mon béret rouge dont j’étais, je dois le dire assez fier, il me faut le remplacer par un képi noir et rouge, car dans la Colo comme à la Légion les cabo-chefs sont considérés comme sous-officiers au même titre que sergent. Ce qui fait que mon ami Bizet qui lui était passé sergent, vous vous souvenez, et bien, je le retrouve et nous sommes au même rang, la même chose pour la paye, d’ailleurs. Je retrouve aussi un autre transfuge de Bayonne, il s’appelle Cailloul, c’est un radio. Ce garçon, de petite taille est marseillais et il a la particularité d’être totalement chauve et totalement imberbe, pas même de sourcils !  C’est un très gentil garçon et je l’apprécie, il m’a raconté que sa particularité était due au fait que pendant la guerre à Marseille, il devait avoir trois ans, la peur aurait provoqué sa chute de cheveux !

Nous étions arrivés peu de temps avant le repas de midi. Rapidement, je sus qu’en temps que cabo-chef, je mangeais avec les officiers et sous-officiers, le mess, une sorte de club en fait. Par contre, je fus mis tout de suite au parfum, tant que je n’étais que PDL (en dessous de 18 mois) l’armée me payait le mess. Bien que n’étant plus dans les paras, je continuerai à toucher ma solde à l’air ; je devais gagner 150 francs par mois environ. A mon arrivée dans le fameux mess (c’était une des anciennes écuries) tout le monde fut très satisfait d’avoir une bonne raison d’arroser mon arrivée. Tout un chacun picolait sec, même énormément, devrais-je dire. Pour fêter cette arrivée, je fus, on peut le dire baptisé. Baptisé, intronisé, peu importe, sans m’en apercevoir, j’ai dû consommer une trentaine d’anisettes. Pourtant j’aurais pu me souvenir de ce qui m’était arrivé il y a quelques temps à Bayonne. Evidement, là, ça s’est fait en douceur, et chacun que ce soit le capitaine (très sympa, au demeurant) ou n’importe lequel des assistants levait le coude avec entrain. Heureusement, j’étais assis et le repas fut servi, repas qui, je dois le dire était super. On m’expliqua que le mess était cher : environ 400 francs, mais permettait de manger ce qu’il y avait de mieux. Je ne regrettais pas d’avoir un petit galon doré ! En réalité les hommes mangeaient approximativement la même chose, sans les vins bouchés. Pour rester dans les boissons, je n’ai jamais vu un tel débit d’alcools, Whisky, Anis, bières. A propos de bière, la bière locale que nous buvions parfois était fabriquée à Oran et s’appelait BAO (Bière Algérienne Oran) et les verres donnés en cadeau par la marque BAO étaient gravés en lettres gothiques B A O de telle sorte que vue de l’intérieur du verre (vide) on pouvait lire sans trop se forcer : O A S!

Dans le courant de l’après-midi, je découvre la compagnie, la vieille ferme entièrement ceinte par les barbelés, il y a quatre postes de garde, dont un sur un mirador avec un phare très puissant et mobile à 360 degrés ainsi qu’une mitrailleuse de 50’’ soit 12,7 mm. Tous les hommes de troupe ainsi que les sergents couchent dans une grande salle une ancienne écurie (il y a encore les râteliers à foin), mais ce qui me surprend, c’est la gadoue au sol, chaque lit métallique est posé sur des briques et des chemins de planches sont disposés aussi sur des brique pour aller d’un lit à l’autre. Il y a un mois il est tombé des cataractes, manque de chance le dortoir, si l’on peut dire, est dans une cuvette et le terrain est argileux ! On me donne une MAT 49 (le pistolet mitrailleur de l’armée à l’époque, fabriqué à Tulle et modèle 1949). C’est une arme assez fiable, pas très précise, ça n’est pas le but recherché, elle est prévue pour les combats rapprochés ; ça n’a rien à voir avec la mitraillette STEN que l’armée anglaise avait utilisée lors du débarquement et qui en avait vendu à la France après la guerre, elle semblait fabriquée en boîte de conserve et partait toute seule si on la secouait, c’est ce que j’avais connu en Préparation Militaire !

Je continue ma visite, des monceaux de piles sont entassés sur le sol, ce sont tout particulièrement les piles très volumineuses à plusieurs voltages (dont 90 volts) qui équipent les postes TRVM2 que l’on peut porter sur le dos et suivent tous les déplacements des fantassins. Des centaines de bidons de 200 litres d’essence leur font face. On m’explique que ces stocks sont connus du FLN, raison pour la quelle au moins une fois par semaine nous essuyons une attaque surprise  

Il faut se souvenir que j’avais choppé une dysenterie, et le soir, avec tout ce que j’avais ingurgité au repas de midi et du dîner, ça remuait sérieusement la dedans. J’étais allongé sur mon lit métallique, me tortillant, je demande aux collègues où se trouvent les chiottes. Ils rigolent : « Non, ici, pas de chiottes, seulement des feuillées, c’est une sorte de cabane en plein vent sans mur juste des poteaux, et pour s’asseoir on se met sur un tronc, ce qui fait qu’on peut être plusieurs sans aucun problème. » Il fait déjà nuit, un copain m’a prêté une lampe de poche, je me dépêche, longe les piles de bidons d’essence, je vois déjà où se trouve le lieu en question, quand j’entends : Clic-Clac, l’armement d’un fusil et : « Qui va là ? » Alors moi : «  Je cherche les WC. » Réponse : « T’es con ou quoi, la nuit, il faut siffler, enfin m’ayant reconnu, la sentinelle me dit : « Tu sauras pour la prochaine fois. » Je trouve enfin les feuillées, surtout guidé par l’odeur ! Heureusement, il était temps. Je découvre que sous le tronc couché il y a un trou très profond, il vaut mieux éviter de glisser !!!

Dans ce que l’on peut appeler notre piaule, il fait assez froid et humide, c’est évident avec cette boue, par terre. Je m’endors difficilement, et on dira ce qu’on voudra, Je me sens bien moins bien que dans la piaule bien propre de Bayonne. Je m’endors enfin, tout à coup, en sursaut, j’entend le tac, tac, tac des PM, et puis toute la chambrée est debout en short ou caleçon, en dix secondes, tout le monde file dehors qui avec son arme, qui avec les munitions de la mitrailleuse de 50 mm. A peine dehors, pas le temps de découvrir un quelconque assaillant. La mitrailleuse du mirador arrose aux alentour, mais sans conviction, il n’y a plus personne, tout est rentré dans l’ordre. Au poste de garde ils on vu arriver cinq ou six djellabas courbées en deux qui raffalaient, vu l’accueil, ont fait demi-tour. Voilà, on retourne tous au lit, il est deux heures du matin. J’ai eu un premier aperçu de ce qui m’attend ici. Je trouve mes nouveaux compagnons pas très militaires, ils ont habillés n’importe comment, voire en survêtement ou aussi en maillot de bain ou short avec le chapeau de brousse que presque tout le monde porte ; moi j’ai rapidement préféré la casquette Bigeard avec le rabat qui protège la nuque. Ici plus de coiffeur, on fait un peu ce qu’on veut à ce niveau, plus de coupe TAP, par contre je m’y suis habitué et je m’y tiendrai.

Le lendemain matin, Bizet m’explique ce que l’on attend de moi : La compagnie possède plein de véhicules plus ou moins en état, plutôt moins, d’ailleurs. Nous sommes tous les deux affectés à la réparation, la remise en état et le dépannage de tous les véhicules dont un grand nombre est en panne faute de personnel suffisant. Comme je le disais aussi, c’est la même chose pour les chauffeurs, nous manquons cruellement de monde à la 79 ème. Nous sommes trois mécaniciens, mais bientôt plus que deux car le troisième est en perme libérable à la fin du mois, en plus c’est un rappelé, il a plus de trente mois à l’armée et il se laisse un peu aller. Me voilà rapide ment en treillis de travail, il faut tout faire en même temps, changer le joint de culasse de ce six-six, faire la vidange du U 55 qui fait les subsistances, remplacer les freins arrière du tracteur semi-remorque qui fait la corvée d’eau tous les matins (en attendant on l’a remplacé par un tracteur Renault moteur feignant, feignant parce que couché et pas très alerte sur la route), sans oublier les dépannages qui peuvent arriver à tout instant, c’est un ti-ti-ta-ta qui vient nous dire untel en ouverture à Mascara a éclaté et il n’a pas de roue de secours ou bien encore son cric s’est cassé, etc. Nous avons du pain sur la planche, on a l’impression d’être les seuls à bosser, ce qui est un peu le cas. Le capitaine nous a à la bonne et nous cajole un peu. Quand il peut nous proposer un truc sympa, il le fait.

La corvée d’eau, nous est dévolue (personne d’autre que nous n’a le permis poids lourd), il faut atteler la citerne et descendre à la Cado (vous savez, la cimenterie) par cette route assez pentue et virageuse, puis s’installer sous la grande cheminée sur laquelle il y a un gros château qui l’entoure tel un gros baba mais sans Rhum. Nous faisons le plein, je crois 15 ou 20 mètres cubes. Il faut ensuite regrimper à Aïn el Affeurd et aller remplir les différentes cuves, la plus importante, celle de douches, celle de la cuisine et encore une autre. La plupart du temps, c’est Bizet qui le fait, il est plus à l’aise que moi, surtout avec le Renault qu’il faut conduire debout pour pouvoir appuyer sur la pédale d’accélérateur tellement il est dur, en plus les feins sont, on peut le dire modestes aussi bien sur le tracteur que sur la remorque, c’est tout à la boîte de vitesses !

Une fois, étant chef de poste, il est plus d’une heure du matin. L’ampoule du mirador s’allume, je décroche le combiné et demande ce qui se Une fois, étant chef de poste, en pleine nuit, la garde vient de tourner, il est un peu plus passe : « je viens de voir deux djellabas toutes blanches contre les barbelé. »je lui réponds : « Tu arrose, on arrive. » Je prends les gus avec moi et on fonce vers l’endroit que m’a désigné la sentinelle. Son phare balaye après qu’il ait bien arrosé le site, il ne voit plus rien, nous non plus. Nous restons quelques temps en attente, mais toujours rien, pas un bruit. « Nous irons voir dès le lever du jour. » Le jour venu, nous partons autours des barbelés, et, oh surprise nous découvrons deux chiens blancs tachetés de noir. Ce sont, nous les reconnaissons les Danois d’une grande ferme à quelques kilomètres de là !

J’aime bien partir en dépannage, je me ballade tout seul avec le GMC de dépannage qui a une flèche qui permet d’accrocher pratiquement n’importe quel véhicule. Mais de préférence, on tâche de dépanner sur place, ça évite de nous encombrer inutilement vers notre atelier qui est une vieille bergerie, mais rares sont les cas où on y travaille, pratiquement tout le temps, on est dehors. On m’a donné en plus de ma MAT 49 un fusil MAS 46 qui est un joli flingue, on peut y adapter une lunette de tir, pour couronner le tout, j’ai aussi dans la poche de poitrine de mon treillis  un PA 50 (pistolet automatique de l’armée américaine qui est un 9 mm comme la MAT et les munitions sont identiques, je pars d’ailleurs en dépannage avec une pleine poche de mollet de ces 9 mm). Je peuix aussi emporte des grenades si j’en ai envie. A la 79 ème, le stock de munitions est en surnombre et le capitaine nous demande lorsque nous sommes dans la nature d’utiliser un maximum de cartouches pour tenter de retomber à l’inventaire qu’il devrait avoir ; pensez donc, on ne se prive pas, ça explique d’ailleurs que bien des panneaux de signalisation routière sont devenus inutilisables !

Parmi les officiers, il y a deux lieutenants qui ne sont jamais là, chacun d’eux est en poste éloigné avec six gus, ils réalisent des vacations radio à heures fixes à des fins de renseignements sur les mouvements divers ou autres, en fait des sorte d’espions.  

Il y a une autre chose assez extraordinaire, c’est que la compagnie comporte un grand nombre de chiens. Les gus y trouvent là, je pense une sorte de réconfort d’avoir sa petite bête, quelquefois grosse. Je me souviens d’un certain sergent engagé qui possédait un papillon fauve et blanc, il était rigolo comme tout, il était de toutes les ouvertures de route avec son patron. Le caporal-chef mécanicien comme nous deux qui allait bientôt nous quitter possédait une chienne très particulière, une sorte de berger allemand mais plus petit avec une particularité, son train arrière était plus bas que les pattes avant, ce qui faisait qu’elle avait une échine légèrement inclinée, elle avait un pelage fauve-lavasse. Cet animal était très exclusif avec son maître, il ne fallait pas lui toucher le dos ou faire un quelconque geste qu’elle pouvait prendre pour une menace car elle bondissait avec une puissance insoupçonnable, son maître lorsqu’il arrêtait son véhicule la faisait descendre immédiatement elle le gardait et personne ne pouvait l’approcher, tout particulièrement les autochtones.  Diane avait eu récemment des petits et elle était encore plus inapprochable, elle adorait son mécanicien de maître, aussi il lui faisait faire des tours qui enchantait la galerie. Nous avions un bar ouvert à tous, parfois il proposait alors que tout le monde était à l’apéro, une bouteille de coca à Diane, il couchait la bouteille sur le sol, elle n’en perdait pas une goutte. Il lui faisait aussi boire du whisky ! Comme il était sur le départ, sachant qu’il ne pourrait pas l’emmener sur le bateau, il m’avait demandé de prendre le relai avec sa chienne, elle m’avait à la bonne, ce qui était exceptionnel, il est évident que j’étais d’accord.

Donc, à peine installé, je me retrouvais propriétaire canin. Très rapidement, elle coucha sous mon lit (la boue avait enfin séché) que je dus écarter des autres pour éviter des incidents. J’étais très content de cet animal qui m’avait très vite adopté. Il y avait peu de sergents pour prendre la garde en tant que chef de poste, en fait avec les cabo-chefs, nous étions six, ce qui veut dire que nous prenions la garde aussi souvent que les hommes de troupe, c'est-à-dire une fois par semaine. Avec Bizet, comme nous étions très pris par notre travail, nous étions presque toujours de garde les Week-ends.  Dans le poste de garde il y avait un téléphone de campagne relié avec les différends endroits à garder particulier, mais en plus pour pallier aux cas où la rapidité était nécessaire, il y avait une planche avec de grosses ampoules blanches reliées à chacun des emplacements de garde par un commutateur. Donc, en cas de danger urgent, le gus déclenchait la lumière qui lui correspondait et s’il avait le temps décrochait son propre combiné. Ce système était très efficace et même s’il n’était pas toujours utilisé à bon escient, il rassurait tout un chacun. Le plus désagréable au cours de la nuit, il fallait faire une tournée dans le douar pour contrôler qu’il n’y avait pas de mouvements insolites, que tout était calme. Je n’aimais pas cette tournée, pas du tout, car si on avait voulu avec nos deux types nous étions trois cibles idéales. Nous faisions cela par ordre du commandement à Oran, mais nous marchions très pressés pour être plus vite rentrés !

Dans le village arabe il y avait une sorte d’épicerie qui vendait de tout, nourriture et objets de toutes sortes comme il s’en trouve dans les campagnes de métropole, nous y trouvions tout ce la compagnie ne pouvait pas fournir, cirage, espadrilles, briquets à gaz dont l’essor était immense à cette époque ou tout simplement des recharges. Le briquet le plus courant était le Feudor (désolé pour la marque, mais il faut bien l’identifier), très simple, la partie supérieure avec le système de mise à feu possédait une languette en forme de fourchette qui retenait la cartouche de gaz tout en lui commandant le débit de gaz. Ce qui était rigolo, c’est que cette cartouche ressemblait en modèle réduit à un jerrican. Dans ce petit magasin, si l’on peut dire, il y avait toujours du monde et tout particulièrement des femmes faisant la queue dehors. Chaque fois que je suis venu à cette boutique, j’arrivais, me mettais dans la queue, mais invariablement l’homme ou la femme qui était le premier à être servi me faisait de grand signes d’approcher en disant : « J’t’en prie, passe devant, t’es mon frère ! » A chaque fois, j’étais extrêmement gêné, en me disant es-ce sincère ? C’est pourquoi, j’y allais le moins souvent possible, surtout qu’il m’arrivait d’accompagner les gars des subsistances, on pouvait s’arrêter dans un magasin de ville. Simplement il fallait être très vigilants d’une part de ne pas se trouver pris dans un attentat et aussi de pas se faire faucher son arme, ce qui était très fréquent. Aussi bien c’était un pied noir, aussi bien un arabe. C’était arrivé à un copain qui était grippé, ce que lui avait donné l’infirmier était inefficace, il voulait un complément en pharmacie. Il rentre donc dans une pharmacie, se met dans la queue, sa MAT 49 pendue au cou et comme on nous avait dit de le faire, le chargeur replié, donc pas en position de tir. Il n’a pas attendu trop longtemps avant que sentant un corps dur contre ses côtes, on lui chuchote : « Donnes-moi ton arme, sinon… » Il n’a pas hésité, des deux mains il a passé la courroie de la mitraillette pardessus sa tête et a tendu l’arme à son agresseur sans autre forme de procès. L’autre  a filé, vite fait. Mais ce qui m’a fait rire plus tard, c’est qu’près la date du 2 juillet, l’indépendance, des arabes du FLN faisaient la circulation dans les carrefours, ils avaient généralement de mitraillettes, parfois des Kalachnikov, mais très souvent des MAT49, lorsque c’était le cas, ce garçon ne faisait ni une ni deux, il prenait le carrefour en diagonale, droit sur le type qui était sur la défensive, on le sentait bien prêt à tirer. Il se penchait sur l’arme et regardait son numéro. On l’a dissuadé de continuer dans cette voie s’il ne voulait pas se retrouver dans une boîte !

Les attaques de nuit continuaient de façon sporadiques, mais tout de même de moins en moins souvent. Moi, j’étais ravitailleur mitrailleuse de 50 mm. Chacun des deux half-tracks en était équipé, mais les boîtes de bandes de mitrailleuse pesaient un âne mort. Chaque fois qu’il y a eu une alerte, lorsque je suis arrivé au half-track, c’était fini. Seule la mitrailleuse du mirador fonctionnait.

Parmi les deux half-tracks il y en avait un équipé d’un moteur à soupapes latérales et l’autre, plus récent (probablement 1944) équipé d’un moteur à soupapes culbutées, plus puissant et peut-être moins gourmand (c’est très relatif, 80 à 100 litres au cent !). Je ne sais plus à quelle occasion nous étions partis à Sidi Bel Abbès avec ce dernier, moi au volant, nous étions sur le retour à environ 90Km/h, lorsque la chenille droite cassa et resta étalée sur la chaussée. Il n’y avait plus de propulsion d’un seul coup, puisque le couple était entièrement avalé par le différentiel. Il fallut que je me mette en position train avant petite vitesse. Nous récupérâmes d’abord la chenille, pas facile parce que très lourde, pas maniable, presque vivante aurait-on dit. Nous retournâmes à 40Km/h, j’avais l’impression d’voir le pied droit contre une forge tellement ça chauffait, déjà en temps normal il fallait rouler avec l’accélérateur à main pour ne pas se faire griller le pied, là c’était infernal. Il faut bien comprendre que ce type d’engin blindé est un peu un non-sens pour le refroidissement du moteur. Enfin, j’ai toujours mes pieds en entier !

Le capitaine connaissait la plupart des pieds-noirs ayant des exploitations alentour, dont tout particulièrement un couple qui vivait généralement à Paris, qui ne venait à Aïn que lorsqu’il y avait à surveiller des travaux particuliers dans leur ferme ou pour les vendanges ou récoltes diverses. Ces personnes étaient, on le savait particulièrement visées par d’éventuels attentats, ils le savaient, d’ailleurs. Ce couple devant aller à Sidi Bel Abbès, le capitaine leur recommanda de suivre l’un de nos véhicule ou de prendre  un itinéraire plus long, autre que celui de la cimenterie, les routes n’étaient pas sûres du tout pour les civils. Le pied noir dit qu’il était assez grand pour se débrouiller seul et que sa voiture était assez puissante pour se dépatouiller en cas d’attaque sur la route. Sa voiture était une Opel Kapitan dernier modèle 6 cylindres 2,5 litres. Il fit donc ce qu’il avait décidé. Quelques heures plus tard, nous apprîmes qu’ils avaient été attaqués. Nous trouvâmes la voiture stoppée dans un endroit où la route après une bonne descente remontait brutalement, l’auto était criblée de balles, dont une dans le carburateur, ce qui avait ôté tout son punch au moteur d’un seul coup. Les deux passagers étaient égorgés ! On retrouva un quantité d’étuis de cartouches impressionnante à quelques mètres,  ils devaient y avoir dix ou douze hommes. C’était imparable, ils ne pouvaient y échapper. Le capitaine avait une petite idée de qui avait fait le coup, il partit immédiatement avec quelques véhicules et des hommes bien armés dans le djebel. Il encercla une certaine mechta où justement les arabes qui avaient fait le coup se terraient ; ils furent tellement surpris que les douze hommes furent faits prisonniers immédiatement, ils venaient de cacher leurs armes, c’est pourquoi ils ne purent riposter. Le capitaine nous appela par radio pour venir chercher les prisonniers avec un GMC. Je partis seul à l’endroit qui m’avait été décrit. On chargea les prisonniers dont certains habitaient Aïn el Affeurd, je les ai reconnus. C’était un GMC sans pavillon sur la cabine, il était facile à deux hommes debout sur le siège de droite de surveiller les prisonniers. Nous partîmes donc en convoi, mon camion au milieu de celui-ci pour une petite caserne de GMS (Groupe d’intervention formé de combattants arabes regroupés à l’armée française encadrés par un commandant, trois officiers et quelques sous-offs français) ce GMS avait une prison, c’est pourquoi après accord à la radio, nous emmenions nos prisonniers pour la nuit car chez nous, il était impossible de garder des prisonniers. Dans ce GMS la prison était attenante au poste de garde, nous pûmes donc les y mettre pour la nuit. Il était prévu de les transférer le lendemain sur Oran dans une vraie prison. Nous retournâmes donc chez nous tranquillement. Le lendemain, nous étions tous plus ou moins à notre toilette lorsque le commandant du GMS envoya un message : « prisonniers évaporés avec tous les hommes de garde et toutes les armes du poste. » Voilà, opération terminée, nous n’avions plus à bouger !

  

 

 

SAINT LUCIEN 

 

Le printemps 1962 était relativement calme sur l’ensemble de l’Algérie, sauf en Oranais, qui depuis le début des événements s’était tenu tranquille. Chaque fois que j’allais à Oran, il ne se passait pas un quart d’heure sans entendre un plastiquage ici ou là ! Des fumées noires attestaient de ces explosions. Des réservoirs de carburant dans le bas de la ville avaient sauté et leur aspect déglingué en était la preuve. Les attentats étaient très fréquents aussi bien en ville qu’en campagne et dans les villages. Ces attentats étaient de toutes sortes, grenades dans les cafés, tirs à l’arme automatique en pleine rue. J’ai vu à cette période, à Oran, des piétons qui enjambaient les cadavres laissés là sur les trottoirs, hallucinant ! Nous, à Aïn el Affeurd, nous étions presque tranquilles si l’on peut dire. De plus, il était question de faire déménager la compagnie, plus bas, de façon à être plus accessibles par les militaires désireux de se réapprovisionner en piles électriques pour leurs radios. D’un autre côté après les accords d’Évian, il n’était plus question de maintien de l’ordre, nous allions laisser tranquilles les habitants du douar. Il y avait du non-dit, nous les militaires de base ne savions rien de ce qui se passait. Donc, fin avril ou début mai, je ne sais plus, nous déménagions à saint Lucien sans en connaître les vraies raisons. C’est dans un village sur l’axe routier Oran Sidi Bel Abbès, à peu près à mi chemin qui va être la localisation de la compagnie. Nous avons un grand nombre de véhicules en panne, pas toutes très graves, ça peut aller de la dynamo HS, au joint de culasse ou à une boîte de vitesse cassée. Il fallait donc faire redescendre tout ces engins pour les amener dans le grand terrain attenant à la ferme qui nous a été dévolue. Ce grand terrain est planté d’arbres fruitiers malheureusement. Avec le  rouleau qui se trouve à l’avant des deux Half-Tracks nous déracinons ceux-ci et les arrachons. Quand je pense qu’un pauvre pied-noir avait eu tant de peine à les planter. Ensuite, nous les avons brûlés avec force essence, j’ai même manqué me faire cramer, bien que je sois suffisamment loin du tas de bois. J’avais compté sans la chaleur déjà très forte qui provoquait une évaporation importante. Pourtant, j’avais fait un chemin d’une quinzaine de mètres avec un jerrican. Lorsque j’ai allumé mon briquet, ça a fait un grand boum accompagné d’un souffle d’explosion quasiment, je me suis retrouvé avec les cils brûlés et le visage bien bronzé. Heureusement, je ne portais pas la moustache car il y aurait eu un début d’incendie !

Du fait de leur état, nous attelâmes tous les véhicules en panne derrière les half-tracks avec des barres de remorquage, je donne un exemple : Un half-track en état de marche suivi par un GMC, par un autre, par un six-six Dodge, par un quatre-quatre command-car, puis enfin par une jeep. Vous imaginez six véhicules dans les quels on a mis au volant des gus sans permis ! J’aime mieux vous dire que ça serpentait ferme dans la descente, nous roulions à toute petite allure, car les pauvres gars au volant ne voyant pas ou peu la route avaient tendance à se décaler chacun à leur tour, c’était même dangereux, car si l’un d’eux s’était mis au fossé, je pense que ça aurait pu être catastrophique. Enfin nous sommes arrivés sans pépins à saint Lucien. Je continuais diverses réparations, ou dépannages, le train-train, quoi.

Un jour, nous reçûmes l’ordre de créer une opération de récupération de fils radio que nous avions laissé à Aïn el Affeurd, Il devait y avoir 200 Kgs de cuivre au bas mot. Un sous-lieutenant commande l’opération. Nous partons à trois véhicules, deux GMC avec les hommes qui allaient récupérer les câbles téléphoniques et ensuite les charger, une jeep coupe-fil (cornière en T aiguisée, disposée à l’avant du véhicule, avec des sortes d’évidements crochus permettant de bloquer un éventuel câble tendu en travers de la route et de le couper) avec le chauffeur le lieutenant, un radio avec son poste et moi ; en plu de nos armes individuelles nous emportons un Fusil-mitrailleur (FM 24-29), nous sommes là pour la protection des équipes de récupération. Cette opération dure une grande partie de la matinée. L’opération liquidée, le sous-bite renvoie les deux camions à saint Lucien. Sur l’instant, je ne comprends pas. C’est tout simple le sous-bite à envie de se faire plaisir, peut-être de jouer au gros dur, éventuellement de récupérer pour son propre compte des armes ou objets insolites ! Il fait installer le FM en haut de la rue principale le chauffeur en tireur et moi pour l’approvisionner si besoin. Le radio n’est pas volontaire pour ce genre d’action l’accompagne, il commence à entrer dans les mechtas à coups de pieds dans les portes, hurlant vers les femmes à l’intérieur. Après plusieurs maisons, il est énervé ne trouvant rien d’intéressant. A un moment donné, cela fait un quart d’heure qu’il opère, lorsque tout à coup, telle une volée de moineaux, une petite dizaine de types descend en courant la rue principale. Ils savent où ils vont, au bas de la rue, il y a un grillage d’au moins cinq mètres de hauteur, ils l’escaladent à toute vitesse. Le sous-bite leur hurle de s’arrêter et tire quelques rafales de sa MAT 49. Les types sont arrivés dans la vigne, là, viens me chercher… A ce moment là, nous recevons l’ordre de tirer ! Je n’avais à aucun moment ressenti le fait que nous fussions menacés, mais nous obéîmes, sans pour autant viser, seul le gus au FM aurait pu faire mal. Lorsque nous avons reçu cet ordre, les fugitifs étaient déjà à plus de 200 mètres. Par contre, ils détalaient comme des lapins. Nous, les quatre militaires étions bloqués derrière ce grillage que nous n’avons même pas tenté d’escaladé. A postériori, si ces types ont fui c’est qu’ils n’avaient peut-être pas la conscience tranquille ! Nous partîmes rechercher la Jeep et contournâmes le village et la vigne, nous arrivâmes pour voir les arabes descendre un talus, traverser un oued à sec et remonter de l’autre côté. Ils étaient déjà loin, le sous lieutenant prit alors le micro de la radio TRPP8 et appela l’ALAT pour obtenir un hélico. Je me suis demandé alors s’il n’avait pas par hasard un ordre caché pour pouvoir impunément demander une aide de cet ordre. Il faut se souvenir qu’il y avait eu le 19 mars et il n’était plus prévu (théoriquement) ce genre de traque. A défaut d’hélico, ce fut un Broussard qui arriva quelques minutes après, il nous indiqua par où passer pour continuer la poursuite. Nous les vîmes souvent de loin, mais jamais au point de pouvoir les bloquer et de pouvoir les arraisonner. Le Broussard au bout d’un laps de temps assez court fut remplacé par une Alouette. La poursuite s’est poursuivie pendant plus de deux heures sans aucun résultat !  A l’époque cette traque m’avait laissé mal à l’aise, et je le suis encore. J’ai cru comprendre que le sous-bite avait reçu des félicitations, mais jamais ouvertement, au grand jour, je me suis même laissé dire que cette opération lui avait valu la VM (Valeur Militaire ou par dérision la Veste Matelassée), mais ça n’a jamais été confirmé officiellement.

Les collègues radio n’ont pas toujours d’ouvertures de route, ni de vacations radio à effectuer, ils ne savent pas trop à quoi occuper leur temps, certains essaient de tirer sur les chacals ou encore à la MAT 49 sur les cigognes qui claquent du bec au dessus de nous. J’ai l’impression que ces rafales ne gênent pas plus ces grands oiseaux que si on leur jetait une poignée de cailloux !

Lors de mes dépannages ou essais de véhicules après remise en état, Je partais naturellement avec Diane, elle me suivait comme mon ombre. Je prenais évidement des armes, depuis peu, j’avais fait l’acquisition d’un nouveau pistolet, un 7,65 mm MAB à canon long, c’est l’arme qui à l’époque  équipait la police parisienne avec la différence que c’était avec canon court. J’avais aussi un petit 6,35 UNION dont les munitions qu’on m’avait vendu avec étaient éventées, les rares fois où je l’ai essayé, le bruit du tir faisait penser à un bouchon de champagne, et je soutenais à qui voulait l’entendre que je voyais la balle sortir ! C’est à l’occasion d’un de ces essais où j’allais où bon me semblait que je suis allé boire une bière dans un petit bar-restaurant de sainte Barbe du Tlelah. Cet établissement était tenu par un couple avec trois enfants, deux filles et un garçon. Les filles m’apprirent qu’elles allaient partir avec toute la famille dans la région de Montpellier où déjà certains cousins et une grand’mère y étaient installés ; j’appris que la localité en question était Clermont l’Hérault. Je devais, dix huit mois plus tard retrouver cette famille, justement à Clermont l’Hérault et finalement me fiancer avec la fille aînée, Marie-Thérèse. Malheureusement, divers événements firent que nous n’allâmes pas jusqu'au mariage.

 Un matin, le sous-off patron du service garage me donna l’ordre d’amener à Oran un commande-car quatre-quatre équipé d’une radio performante dans une compagnie qui en avait un besoin urgent. Malheureusement, un des pneus avant avait une crevaison lente, à mon avis une valve de chambre à air défectueuse.  Nous n’avions pas de roue de secours en état sous la main. Je partis seul en milieu de matinée, le pneu en question surgonflé, je devais pouvoir arriver sans encombre. Je n’ai pas eu de chance car au bout de vingt minutes, sans prévenir, j’ai eu le joint de culasse qui claqua. Je me retrouvais en pleine cambrousse à quelques kilomètres d’un regroupement Fellaga connu. Je n’en menais pas large, je n’avais pas pris Diane et n’avais pour toute boisson qu’une petite bouteille de Coca. Par contre, en plus de ma MAT, j’avais emporté deux grenades, pas de fusil, car on devait me rapatrier le soir avec une 203. J’étais donc là, en plein cagnard, ne voulant pas boire mon Coca tout de suite ; j’aurais mieux fat car plus tard, le Coca bouillant en passant dans ma gorge m’aurait plutôt fait vomir. Trois véhicules  se dirigeant vers Oran passèrent dont un U55 de chez nous qui ne purent me donner ni boisson, ni même envisager de me tracter, c’était évident, ma roue en deux heures s’était totalement dégonflée. J’appelais ma compagnie sur le poste qui équipait le command-car (entre temps, j’avais appris à faire le « battement zéro » et à l’utiliser assez correctement en phonie. Le capitaine lui-même me dit m’envoyer une surveillance aérienne. Je fus tout de même un peu rassuré. De fait assez rapidement, un hélicon me survola et commença à tourner. Nous entrâmes en conversation : « Allo, ventilateur de command-car, je vous écoute… » Au bout d’un certain laps de temps il me dit : « Désolé, j’ai une autre mission, mais on va me remplacer. »  Je suis de nouveau seul, rien à manger ou à boire, la vigne alentour est encore verte, pareil pour les oranges ! Enfin un autre hélico arrive, puis repart presque immédiatement, remplacé par un Broussard (petit avion de reconnaissance de l’ALAT), ce fut le dernier, je n’eus ensuite plus personne et me morfondais. Il y avait très peu de circulation. Dans l’après-midi je vis très peu de véhicules militaires, le Citroën U55 du matin en passant me donna un litre de lait un peu tiède, mais c’était mieux que rien, avec l’assurance que dès leur arrivée à saint Lucien on m’enverrait le GMC de dépannage. Quand je vis arriver celui-ci à 18 heures passées je soufflais, il avait en plus apporté des bières fraîches. Ma MAT posée sur le capot était bouillante, c’est avec plaisir que je la jetais dans le GMC. Content de revoir saint Lucien, je me jurais de ne plus jamais accoter de faire des missions si aléatoires.

J’ai parlé déjà que nous avions deux équipes éloignées de nous et qui à intervalles régulier faisaient des vacations radio, en fait faisaient leurs rapports. Nous avions un de ces groupe qui était tout près de sainte Barbe du Tlelah, un jour un appel au secours de ce groupe car ils n’étaient pas dans un fort, mais une fermette. Ils étaient entourés de coups de feu de toutes parts, une faction du MNA était en combat avec un groupe important du FLN ! Ils n’en menaient pas large. Notre capitaine appela immédiatement le grand quartier Vienot à Sidi Bel Abbès. On lui répondit qu’il y avait justement quelques sections du 2ème REP dans le coin, qu’ils arrivaient. J’ai su qu’il y avait eu un véritable massacre des deux côtés et que la Légion avait fini le ménage, de nombreux civils arabes (dont femmes et enfants) avaient payé de leur vie de se trouver là !

A saint Lucien, nous étions donc plus près de la vie civile, en ce sens que nous avions des activités plus liées directement à l’armée, contrairement à ce que nous vivions à Aïn el Affeurd. Je m’étais procuré à un prix très modique une carabine de chasse 9 mm de fabrication américaine avec un joli canon hexagonal et tout un texte écrit dessus en lettres de ronde, c’était un canon dit choké  pour tirer des petits plombs, le canon était amovible et se démontait en un quart de tour et pouvait être remplacé par un canon rayé pour tirer à balles, les munitions étaient particulières et introuvables ici. J’avais bien essayé les munitions 9 mm pour la MAT ou pour le MAC 50, et bien que ce soit aussi en percussion annulaire, je risquais de me faire péter la gueule. Tout cela pour dire qu’avec quelques copains nous avions décidé d’aller de temps en temps chasser le pigeon. Un pied noir assez aisé avait laissé après son départ définitif en métropole un grand pigeonnier à l’abandon. Nous ne pouvions pas y rentrer, mais les pigeons, eux cherchaient leur nourriture aux alentours nous laissait entrevoir une possibilité. Voilà comment nous procédions : Tout d’abord, d’une façon régulière et à heure fixe, nous déposions dans un champ en jachère quelques graines, particulièrement du maïs. Ce champ était au bord d’un petit ravin, en fait un petit oued courrait en bas. De l’autre côté de l’oued, il y avait une bordure de conifères sous les quels nous nous installions, couchés avec nos fusils. Nous étions à environ 25 mètres des dépôts de grain. Généralement, nous nous installions dix minutes après avoir fait le dépôt de grains. Les pigeons affamés s’abattaient sur le champ, nous faisions immédiatement quelques victimes, mais ne bougions pas. Après les coups de feu simultanés, les oiseaux assez nombreux s’envolaient, faisaient quelques tours bien en formation, puis étonnés, revenaient voir ce qui s’était passé. Ils se posaient de nouveau et recommençant à picorer sans s’occuper de leurs congénères abattus. Ils revenaient en général trois fois, et c’était autant de tirs efficaces. Par la suite, nous allions chercher notre gibier et les apportions à la cuisine du mess. Je n’ai pas souvent fait ce type de chasse, j’étais trop occupé ; mais une fois, à plat  ventre, nous attendions un vol de pigeons lorsqu’un des collègues me fit un signe silencieux de l’index montrant les branches de l’arbre sous le quel j’étais couché. Tournant lentement la tête vers le haut, je vis perché un joli pigeon bien dodu, je ne pouvais pas envisager de tourner la carabine vers lui, il se serait évide ment envolé. Il était à 4 ou 5 mètres, Je pris donc dans ma poche pectorale le 9 mm, l’armais le plus doucement possible, et me penchant en arrière, je réussis à avoir l’animal dans ma ligne de mire. Le coup partit, quelques plumes retombèrent, mais rien d’autre ! Le bruit que j’avais fait éloigna les pigeons qui tournaient dans le coin, la chasse était finie pour aujourd’hui. En me relevant je trouvais la tête de l’oiseau, rien d’autre. Depuis, je n’ai plus jamais chassé !

Entre temps, j’avais appris qu’un cousin Robert était sous-officier à Sidi Bel Abbès à la base de l’A L A T (Aviation légère de l’Armée de Terre). Je réussis à prendre contact avec lui, il me proposa de venir le voir, j’acceptais. Et chose extraordinaire pour un  militaire en AFN, je posais une perme et partis en train. Le train venait d’Oran et partait dans le Sud Algérien. C’était un véritable tortillard, je ne dirais pas que j’aurais pu y aller à pieds, mais presque. J’allais à pieds, de la gare à la base, il faisait un de ces cagnard ! Arrivé dans la base, je dus la traverser de part en part, me trouvant peu après sur la piste d’envol des hélicos en béton, la réverbération était tellement intense que je crus vraiment défaillir. En fait, j’étais totalement déshydraté, Mon cousin me fit boire ce qu’il fallait pour retrouver mes esprits. Il m’apprit qu’il  se préparait à faire l’école de Strasbourg pour tenter ensuite de rentrer à  Saint Cyr. A cette même époque mon frère cadet se préparait à y entrer. Mon cousin Robert devait réussir tous ses concours, il se retrouva plus tard à saint Cyr en même temps que mon frère.

Les cigarettes de troupe en Algérie n’étaient pas les mêmes qu’en métropole, les paquets étaient jaunes paille et les cigarettes très peu remplies, une fois tassées, le tabac ne remplissait que la moitié du tube, ça se fumait en un rien de temps. Je pouvais donc acheter journellement des cigarettes civiles fabriquées en Corse, Les Bastos, voir les Flor Fina. Il y avait 27 cigarettes par paquets, et elles étaient tout à fait correctes pour les amateurs de tabac brun. Il faut dire aussi que je continuais à beaucoup fumer, sinon plus. Mon régime journalier était d’environ soixante dix cigarettes par jour !  D’autre part, il m’arrivait encore de réaliser des travaux d’aiguille que je me faisais payer en cigarettes, à cette époque un pantalon rétréci, c’était une cartouche de troupe que j’empochais.

A cette même période, je fis la connaissance d’un capitaine des renseignements, il sillonnait la région en moto. Il était embêté car possédait un chien, un cocker roux qu’il ne pouvait pas emmener avec lui, il me demanda si l’un de mes collègues serait preneur ? Je lui répondis que moi, je m’en chargerai. Il me l’apporta le lendemain, nous fîmes amis tout de suite et l’entente avec Diane ne posa pas de problèmes. Très rapidement, il s’installa dans sa nouvelle vie, il semblait très paresseux et  il avait trouvé très confortable de dormir sur mon lit. Lorsque je travaillais sous un véhicule, il venait me rejoindre et s’endormais à côté de moi, contrairement à Diane qui elle, montait la garde à mon côté. Je me disais aussi que pourrais-je bien faire de ces chiens le jour ou je repartirai ? Un mois plus tard, j’appris que le capitaine en question avait eu un accident avec sa moto qui avait pris feu. Il fut pris en charge immédiatement comme grand brûlé, il dut être envoyé par avion à Lyon où il décéda des suites de ses brûlures !

A saint Lucien, nous trouvions une nouvelle vie, plus près de la civilisation. Il fallait aussi prendre plus de soin pour notre tenue, le capitaine y veillait. Dans le village il y avait un très grand bar avec deux billards. Je dois dire qu’à nos moments perdus nous y étions souvent. Nous y fîmes connaissance de nombreux pieds noirs. Avec eux c’étaient des parties de billard, des apéros à l’anis Limiñana, je fus même invité à faire partie d’une quadrette à la longue. Je n’y avais jamais joué, mais nous avons gagné. La quadrette en question était dirigée par un pied noir très sympathique qui était le chef local  de l’OAS, il s’appelait José. Il faut dire qu’à ce moment  historique de la guerre d’Algérie, le général de Gaule s’était plus ou moins déjugé aux yeux des français d’Algérie et l’OAS était de plus pressante pour conserver leurs prérogatives dans le pays. Vers le mois de juin, peut-être même avant, il y eut une espèce d’affolement, les gens couraient à l’aéroport de la Sena ou encore tentaient de prendre un passage sur les bateaux partant pour la métropole ; puis la France fit savoir qu’un pont aérien était institué entre les villes d’Algérie et les principales villes du sud de la métropole. Pour nous, militaires, nous ne connaissions ces nouvelles qu’en demi-teinte annoncées par des pieds noirs de notre connaissance. L’OAS multipliait ses actions guerrières tout particulièrement contre le FLN. Ma pratique de l’espagnol favorisait mon contact avec tout ces gens qui étaient enfants ou petits enfants de colons espagnols ayant fui la guerre d’Espagne, ils s’étaient totalement intégrés au pays, c’était leur Patrie. José, un jour m’appela et me montra le coffre de sa voiture, une Frégate gris clair, ça m’avait marqué car mon père avait exactement la même, il m’ouvrit le coffre et me montra une MAT 49 posée dans un chiffon. Il m’expliqua que de temps en temps il recevait un ordre par téléphone de descendre tel type dans telle voiture à telle heure qui transportait des fonds pour le FLN du coin. Il allait donc planquer sa voiture dans un site bien protégé et lorsqu’il voyait au loin arriver le véhicule annoncé, il allait chercher sa MAT dans la malle, restant planqué derrière la Frégate jusqu’au moment où le véhicule arrivait à sa hauteur. Là, d’un regard, il contrôlait que c’était bien la cible voulue et tranquillement, il défouraillait un chargeur complet. La voiture terminait en général dans un fossé à cent ou deux cent mètres. Sans un regard pour sa victime il retournait tranquillement à saint Lucien. Il m’expliqua qu’il n’en était pas à son coup d’essai. Très peu de temps après cette confidence, un soir il fut pris à parti par une bande fellagas le poursuivit derrière sa maison. Il faisait nuit noire, ils lui tirèrent plusieurs décharges de fusil de chasse dans le dos, l’attrapèrent, le pendirent par les tendons d’Achille, l’égorgèrent et lui firent subir les sévices courants. Lorsque j’ai appris cela, j’étais atterré, mais c’était « leur guerre, l’OAS », nous, français de métropole nous n’en saisissions pas vraiment le sens! Entre-temps, les départs s’accéléraient, on voyait les campagnes se vider. Dans Oran, j’ai vu des gens jeter leur téléviseur par la fenêtre, ils ne voulaient pas faire de cadeau. Il paraît que sur le port de Mers el Kebir de pleins charrois de meubles étaient jetés des quais. Cela n’empêche pas que les attentats continuaient de plus belle.

 

 

 

SIDI BEL ABBES       

 

Sur ces entrefaites on nous prévint que nous allions déménager rapidement  à Sidi Bel Abbès. Notre capitaine nous fit savoir que nous devions envisager de nous séparer de la plupart des chiens, car là où nous allions cela poserait problème. Certains d’entre nous emmenèrent leurs chiens dans la nature et les tuèrent d’une balle. Mon cocker qui était de plus en plus flemmard m’inquiétait. En fait il avait choppé avant que j’en devins propriétaire la maladie de Carré, il en mourut rapidement. Quant à Diane, elle était précieuse, je la gardais. Entre temps, j’étais devenu ADL (au-dessus de la durée légale, plus de dix huit mois), je touchais donc un vrai salaire, mille francs des quels je devais ôter quatre cent francs  pour le mess, car j’étais dorénavant considéré comme un sous-off d’active. Pour aller à Sidi Bel Abbès nous devions traverser un petit village, Lauriers Roses. C’était une localité charmante avec d’énormes lauriers roses à droite et à gauche, chaque habitation en avait plusieurs. J’espère que c’est toujours comme ça actuellement. Ensuite la route était directe sur Sidi Bel Abbès. Lorsqu’on entrait dans la ville on arrivait par une large avenue puis au point central où chaque angle était un café avec terrasse, pour éviter que les piétons ne traversent en diagonale, des barrières installées sur chaque angle de trottoir avaient été posées. Arrivé là en tournant à droite une autre avenue menait à deux cent mètres de là sur la gauche au grand quartier Vienot. La maison-mère de la Légion, si l’on peut dire, avec au centre de la place de la caserne un énorme monument aux morts en forme de mappemonde trônait, posé là en mémoire des légionnaires tombés au champ d’honneur. Presque en face du quartier Vienot sur la même avenue était un autre quartier, il s’appelait Yousouf, dans ce quartier il y avait la piscine de la légion réservée aux légionnaires, mais les autres armes y avaient accès. Je crois même que les civil de la ville y avaient aussi accès certains jours.

Il fallait se promener du côté du quartier Vienot au moment du lever des couleurs, les automobilistes s’arrêtaient, descendaient de voiture et se mettaient au garde-à-vous, le passant de même. Il faut que j’ajoute qu’étant dans la coloniale, je ne porte plus le béret rouge mais le képi, donc dans la ville une grande quantité de légionnaires circule en ville et me saluaient, ce qui avait pour effet que j’étais constamment le coude en l’air pour répondre à ces saluts.

En quelques jours nous expédiâmes notre emménagement à Sidi Bel Abbès à l’arrière du « quartier Yousouf » de la Légion étrangère dans l’ancien quartier vétérinaire, car il n’y avait plus de chevaux à la Légion depuis pas mal de temps. Chacune des stalles ou plutôt écuries qui étaient nombreuses devinrent nos chambrées pour quatre hommes.

Les gardes étaient simplifiées pour nous dorénavant, il n’y avait que l’entrée à garder, mais le nombre de chefs de poste n’avait pas augmenté, au contraire car s’il y avait eu des départs pour la quille il n’y avait plus eu de nouveaux arrivant  depuis avril. Le poste de garde était un marabout où se tenaient les gars en attente de prendre leur tour. Moi, si je me rappelle bien, je ne prenais de gardes que la nuit car on avait besoin de moi au garage (virtuel car nous n’avions plus du tout de locaux) en plein vent ;  ces gardes avaient lieu tous les quatre jours. Parfois, même il m’arrivait de ne prendre qu’une demi-nuit. C’est ce qui arriva une certaine fois, on devait venir me réveiller à une heure du matin. Il faut se rappeler que ma chienne dormait sous mon lit. Lorsque le gus est arrivé, il marchait sans bruit et vint me secouer, il n’avait pas fini que la chienne s’est jetée sauvagement sur son bras et l’a mâché sur une quinzaine de centimètres ! Résultat il dut se faire mettre une douzaine de point de suture. Le capitaine me dit qu’elle ne devait la vie sauve que grâce au fait que le seul chien qui rendait de réels services, elle était capable de garder plusieurs camions sans laisser approcher quiconque. Malgré sa petite taille elle était aussi capable de sauter dans un GMC, ridelles fermées !

Il y avait très peu de temps que nous étions installés lorsque nous entendîmes des fusillades nourries pas loin du tout. Nous savions la Légion sur place et en nombre, personne ne bougea chez nous. Nous apprîmes le soir par des collègues légionnaires qu’un groupe de combattants OAS avait été pris à parti par des FLN. Chacun des groupes était réfugié dans une barre style HLM se faisant face. Armes automatiques et même lance-roquettes étaient de la partie. Finalement, la Légion vint mettre bon ordre à cet état de choses. Nous n’en avons pas su beaucoup plus, sinon que les deux barres d’immeubles étaient quasi détruites !

L’hémorragie des départs vers la France continuait et aussi bien des incidents et bien des morts inutiles. A La Seña, des familles entières attendaient des heures, voire des jours pour partir enfin. C’était surtout la peur qui provoquait cet exode et nous commencions à nous en apercevoir par de menus faits. Par exemple, un collègue avait une rage de dents, on ne trouvait plus de dentiste, tous ceux que nous sollicitions par téléphone ne répondaient pas, ils étaient certainement partis. Un gros exploitant éleveur de cochons vint nous voir, expliquant qu’il s’en allait définitivement nous donna les directives pour trouver son élevage et prélever autant de cochons qu’on voudrait ! Les équipes qui n’avaient pas grand-chose à faire partirent avec un GMC et deux Jeep dans cette exploitation. Ils revinrent quelques heures plus tard le GMC plein de cochons hurlants. A peine arrivés, un jeune verrat sauta par-dessus la ridelle et commença à courir en tous sens dans la cour. On aurait cru du rugby, tout un chacun tentait des plaquages, mais peine perdue. L’un de nos cuistots était tueur dans un abattoir dans le civil. Il suivait le verrat avec une pioche, et vou… et vou…la pioche se plantait dans le sol. Tout le monde courait après ce foutu cochon, le capitaine assis sur un capot de GMC commentait et rigolait. A un certain moment, le sergent-chef faisant un plaquage se retrouva à plat ventre tenant le cochon par les pattes antérieures ; l’autre avec sa pioche qui n’avait pas dû sucer de la glace lançant sa pioche à tort et à travers, planta le béret du sergent chef, ouf… raté, heureusement ! Ca a beaucoup fait rire, sauf le sergent chef qui a arrêté de courir. Tout cela a fini par se calmer, le verrat finit par être rattrapé et occis. Les collègues du cuisinier tueur firent tant et si bien qu’ils préparèrent quantité de cochons, égorgés, ébouillantés, grattés, vidés, découpés. Profitant de la livraison de piles nous pûmes distribuer des cochons prédécoupés à de nombreuses compagnies moyennant une modeste rétribution. Cette modeste rétribution nous permit de manger entre autre choses, de la langouste !

Un certain matin, nous étions le 2 Juillet, je partis au volant d’un GMC chercher des pièces à Oran, deux autres véhicules nous suivaient. A mi-chemin, il y avait le poste de contrôle de la Circulation Routière. Là, surprise, les chicanes de barbelés étaient complètement en place. Nous nous arrêtons, et oh surprise, c’étaient des arabes qui tenaient le poste ! Depuis quelques jours on nous avait annoncé de ne plus porter d’armes dans nos déplacements, nous étions très inquiets de cet état de choses. Donc arrêtés celui qui semblait être le chef nous demande les carnets de bord et à voir nos papiers. Beaucoup d’entre nous bouillonnaient, en fait, nous avions réellement peur de ce qui allait se passer. Finalement, il nous laisse repartir, nous étions soulagés, mais tout de même de plus en plus inquiets au fur et à mesure que nous arrivions dans les faubourgs d’Oran. En effet quantité de femmes et de fillettes étaient habillées d’une jupe verte et d’un chemisier blanc en criant : »You-You-You. » Nous nous demandions vraiment ce qui se passait. Dans Oran, on n’a pas traîné. Très vite, nous étions de retour à Sidi Bel Abbès. Là, nous nous sentions en sécurité. Malgré tout la liesse des arabes était palpable, ici aussi, j’ai vu entre autres un car de ville et des camions bondés d’algériens tenant des drapeaux verts et blanc en hurlant. Nous ne savions toujours pas ce qui se passait, nous pensions que c’était une révolution généralisée, nous demandant comment nous allions être mangés !

En fait, nous ne l’apprîmes que le surlendemain, les algériens venaient d’obtenir leur indépendance et ils fêtaient cela. De fait, on se sentait un peu de trop !

Maintenant, on nous appris que l’armée française allait donner à l’armée algérienne une partie de son matériel ! La plupart d’entre nous étions persuadés que c’était une décision inique, je dois dire que la plupart des matériels cédés avaient un défaut. Par exemple, nous avions deux cantines tractables avec cheminées, elles permettaient de servir des plats chauds et du café. Elles eurent droit, chacune à un coup de perceuse par en dessous ! Certains matériels tombèrent par mégarde dans des ravins, d’autres, dans le port de Mers el Kebir !

De toute façon, tout le monde continuait à vivre, moi, je sortais de temps en ville avec ma chienne. Un jour comme cela, je rencontrais un légionnaire que je connaissais avec un petit Fennec en laisse, très bien dressé. Tout en devisant, nous sommes allés nous installer à la terrasse de l’un des cafés du point central de la ville, nous étions contre la barrière empêchant de traverser, nous sirotions nos anisettes, profitant du fait que le soleil baissant il faisait une température très acceptable. Tout à coup, une traction Citroën ralentit 50 mètres avant le croisement, des armes automatiques dépassaient des vitres ouvertes. Quelques rafales, un homme tombait à cent pas de nous sur le trottoir opposé. La traction repartit très vite avec son bruit de sirène très caractéristique. Mais voilà, sur l’avenue perpendiculaire, retournant à leur caserne une PM de la Légion à pieds arrivait à ce moment précis. Lorsqu’il entendit les rafales, le lieutenant qui marchait au milieu de la chaussée fit un signe. Les hommes qui marchaient en longeant les trottoirs de gauche et de droite, s’arrêtèrent, l’un d’eux sur un autre signe de leur officier tira une rafale de son FM. Cela ne fit pas un pli, la traction roues crevées allait s’emplâtrer dans les barrières opposées à nous. Les trois hommes s’éjectèrent rapidement de leur voiture et détalèrent comme des lapins. Le lieutenant fit signe à un autre homme équipé d’un Mas 36. Les autres étaient toujours immobiles. Le légionnaire, calmement aligna le premier fuyard, réarma aligna le second, réarma de nouveau et aligna le dernier. L’homme retourna à sa place, sans un mot, d’un signe les hommes repartirent à leur pas vers le quartier Vienot !

Le capitaine avait trouvé un petit appartement en ville où son épouse était installée. Les uns et les autres étaient souvent sollicités par notre chef pour aller la chercher ou pour lui apporter des provisions. Très fréquemment, elle nous faisait des avances, ce que je trouvais très dangereux. Finalement je m’arrangeais pour ne plus avoir à aller chez elle.

Comme nous, la Légion devait quitter les lieux, ceux-ci étaient très inquiets de leur avenir en France. On parlait de Carpiane et de Corse. Il faut dire aussi que certains étaient interdits de séjour en France, mais tant qu’ils auraient leur képi blanc, ils seraient intouchables. D’autre part, à cette époque, une grande partie (peut-être un tiers) était espagnole, ici en Oranais, ils étaient en pays de connaissance. Mon capitaine me demanda avec insistance si je désirais m’engager, ça aurait été en tant que sergent avec en ligne de mire des concours pour passer officier. Je réfléchis longuement, j’étais très tenté, mais à l’idée d’aller m’enfermer de nouveau dans une caserne ne me réjouissait pas trop. Finalement je lui dis que je ne donnais pas suite, il avait vraiment dans l’idée que j’allais le suivre en France.

Nous étions fin octobre, ma perme libérable était proche, je confiais Diane au capitaine, car il restait encore un certain temps à Sidi Bel Abbès. Je n’ai d’ailleurs pas eu de nouvelles ni de l’un ni de l’autre. Je pensais ne partir qu’au mois de novembre, mais le Ville d’Alger devait partir pour Marseille le 24 octobre. Le capitaine Le Gall signa ma perme libérable, nous étions plusieurs dans le même cas, dont mes deux collègues de Bayonne Bizet et Cailloul. Mon paquetage était relativement léger, de plus je n’emportais aucune des armes que j’avais acheté car on nous avait dit aussi bien à Mers el Kebir qu’à Marseille nous serions fouillés avec risques de se retrouver en tôle. Je partais avec un peu de nostalgie, j’avais eu une vie assez sympa en Algérie, même si je m’étais souvent roulé sous des camions.

Je partis vers Oran le 23 octobre, couchais au centre de dispatching comme à l’aller, mais sans rien attraper, heureusement. La plupart des légionnaires de Sidi Bel Abbès embarquaient sur le « ville D’Alger », très beau bateau au demeurant, mais je n’avais pas de cabine, alors avec trois collègues nous avons payé un matelot pour qu’il nous cède sa cabine. En fait, les matelots proposaient et je pense que c’était une combine courante. Je ne me souviens plus quelle était la somme, mais elle était coquette. Sur le bateau il y avait un monde fou, que des militaires, il n’y avait pas un souffle de vent, et dès le début du voyage on nous annonça que le bateau allait marcher à petite allure car il y avait encore des grèves à Marseille ! Le bateau mit le cap sur le Sud de l’Espagne. Pendant ce temps là, nous jouions aux cartes dans notre cabine. La Méditerranée était une mer d’huile, on pouvait apercevoir le sillage très loin à l’horizon, comme une sorte de route, c’était impressionnant. Une mer aussi belle je ne l’avais jamais vu, je dois dire qu’à l’aller qui était mon premier voyage en mer, c’était la tempête et on ne voyait pas grand-chose. Alors qu’on aurait dû mettre au pire un peu plus de 24 heures, on nous annonça que nous mettrions 48 heures. En fait ce fut plus de 50 heures, mais le voyage était intéressant, nous pouvions voir les côtes d’Espagne, passâmes contre les Baléares, exactement entre ces îles et l’Espagne. Puis nous voilà au large de Valencia, il se passa là un événement inattendu. Nous étions à mon avis à plusieurs kilomètres de la côte, au moins deux, je pense, lorsque sept hommes, des légionnaires, espagnols naturellement se jetèrent à l’eau. Ils se mirent à nager rapidement. Un colonel qui était considéré comme le commandant de la Place sur terre, demanda au commandant du navire de mette en panne et d’envoyer une chaloupe. Ce qui fut fait prestement. Moins de vingt minutes plus tard, la totalité des hommes fut repêchés, se retrouvèrent fers aux pieds et aux mains et enfermés en calle ! J’ai trouvé que pour ces pauvres types ça n’était pas sympa, mais l’armée, la Légion de surcroit n’est pas faite pour être sympa !

Arrivé à Marseille, passage obligé à saint Marthe, dont je pus repartir rapidement car un convoi de chemin de fer militaire partait en direction de Toulouse. On nous avait mis des vieux wagons sortis des oubliettes, très mal foutus et inconfortables (sièges en lattes de bois). Il ne faisait pas chaud, en tête du train il y avait un wagon spécial-chaufferie avec une cheminée comme une locomotive. Ca marchait plutôt mal, mais je m’en foutais un peu, je sentais l’écurie. Ce train, très long se traînais, je suppose qu’il devait laisser passer les trains réguliers. Nous arrivons à Nîmes, mais ne voila-t-il pas que j’entends une annonce : « ce train est sans arrêt jusqu’à Béziers. » Ah les salauds, je descends en catastrophe, le train redémarre déjà. Me voilà comme un con à Nîmes, je sors de la gare et rejoins la nationale 113 avec mon barda sur le dos, mais un sac marin n’est pas du tout pratique pour marcher, enfin…Je fais du stop, ça ne marche pas, du coup, j’ôte le képi et remet mon béret rouge, ça ne marche pas mieux. Enfin un vieux P45 Citroën de l’armée de l’air s’arrête et me prends, il me descendra à Montpellier. Il fallait le faire, jusqu’au bout je aurais été pris en charge par l’armée. Aujourd’hui, je tournais une page de ma vie !

 

Fredy