Année 1965, voyage d’été

 

 

Outre le fait que Dany eut mis au monde notre fille Laure, elle et moi avons vécu cette année là une période on peut le dire difficile. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle fut tourmentée, nous sommes allés de pépin en pépin, en grande partie car peu argentés. D’autre part, j’ai pêché par manque de confiance, de ne pas oser tout particulièrement, enfin, vous allez pourvoir juger par vous-mêmes.

Un heureux évènement allait tout de même rendre cette année plus abordable.

Laure venait de mettre son nez dehors et déjà ses grands yeux noirs étonnés s’ouvraient sur sa nouvelle vie. C’était un très joli bébé, malheureusement pour elle, elle rejetait tout ce que lui donnait sa maman, nous avions essayé tous les laits en poudre existants. Finalement un lait de pharmacie finit par lui convenir, nous étions soulagés, elle commença à prendre du poids. Quant à moi, peu après l’accouchement, je me trouvais  brutalement face à des obligations inconnues jusqu’alors. Pourtant au milieu de mes frères et sœurs on aurait pu croire que j’avais un minimum d’entrainement. Point du tout, maman avait toujours su assurer à elle seule, bien qu’aidée tout de même par sa bonne : Enfin tout ce qui  tournait autours d’une naissance. Je pense particulièrement aux changes du bébé, sa nourriture et évidement les lessives de couches. En effet, je me trouvais tout à coup devant une montagne de couches carrées, longues, triangulaires. Il fallait laver tout ça, et propre s’il vous plaît, et blanc de surcroît ! Terrible, mais il fallait être inventif, c’est pourquoi la cocotte-minute se changeât en machine à laver le linge. En effet, le fait de bouillir  permettait à toutes ces couches de ressortir correctes après un coup de Javel, mais ça n’arrêtait pas. Tout de même un peu la galère et nous décidâmes qu’il était très urgent de faire l’acquisition d’une machine à laver.

Par un ami, nous sûmes qu’il y avait à Saint Denis un entrepôt  de matériel ménager en défaut d’aspect, c’était malgré tout une dépense importante pour Dany et moi. Par contre, je pense que l’on avait dû nous prêter la somme, car je ne crois pas que nous aurions pu nous la payer! Enfin, équipé du bon de livraison, je me présentais au fameux entrepôt avec ma vieille Deux Chevaux de la quelle j’avais ôté le siège arrière. Je pus ainsi coucher la machine derrière moi. Je n’ai pas pu découvrir ce qui avait nécessité sa mise en défaut d’aspect, mais qu’importe, je roule. En effet, je partis de Saint Denis pour rejoindre notre petit studio parisien rue Servan tout près de la rue du Chemin Vert. J’étais encore à Saint Denis et suivais une vieille Aronde en mauvais état. Lorsque le conducteur, un jeune militaire se mit à freiner subitement, malheureusement il n’avait pas de feux stop, et je lui rentrais dedans sans avoir seulement touché la pédale de frein ! Horreur, mon moteur avait éclaté, les longerons tout tordus, ma Dodoche était foutue. Quant à moi, la machine par un principe tout simple d’inertie avait continué sa course dans mon dos. Vous connaissez la rigidité légendaire des sièges de Deux Chevaux ! Je me suis retrouvé coincé sur mon volant et le front sur le support métallique du pare-soleil. Je pus seul repousser la machine, et m’extraire de mon épave. J’étais désemparé, le front en sang, qu’allais-je faire ? La première des choses était de ne pas quitter la voiture des yeux avec la machine à l’intérieur. Le militaire n’était évidement pas assuré, que pouvais-je faire, rien évidement de ce côté, bien que son Aronde fut toujours en bon état de marche ? A cette époque révolue les pare-chocs étaient en acier chromé très épais, c’était la seule défense des autos, sauf des Deux Chevaux naturellement! Un coup de pied dans un pare-choc de Deux Chevaux, il était tordu ! Heureusement j’avais un collègue de Général Motors (j’y étais rentré en février), Fréderic qui se faisait appeler Freddy, c’était un vrai copain, il vint avec son cabriolet 403 décapotable. Grâce à la capote repliée, nous pûmes y déposer la machine et ainsi aller la livrer rue Servan. Le lendemain nous tractâmes ma pauvre Dodoche à une décharge de Gennevilliers, je l’avais depuis début 1964 et je l’aimais bien.(Une anecdote concernant cette Dodoche : Peu après son achat, elle était de 1954 et son moteur était un 375 cm3, partant de Suresnes où j’habitais chez mes cousins germains, je partis en vacances. J’avais décidé de rejoindre ma famille à Villemagne dans les Cévennes. Un matin, donc je pris le boulevard extérieur sud pour rejoindre le bout d’autoroute du sud qui allait jusqu’à Orly à l’époque. C’était une quatre voies. Sagement, j’étais sur celle de droite, puis vint un moment où ma voie devenait la direction d’Orléans, il me fallait absolument changer de file si je voulais rattrapper la nationale 6. Mon minuscule clignotant gauche allumé, mon bras tendu par la portière, je tentais désespérément de changer de file ! Il faut dire qu’il y avait un léger vent du sud, donc face à moi, pour contrer cette difficulté, j’avais dû rétrograder en troisième et me trainais à un petit 60 Km/h ! Les autres usagers allaient tellement plus vite que moi qu’il me fut impossible de prendre l’autre file ! Dégoutté, j’ai donc dû continuer, j’empruntais donc le Massif Central à une allure de tortue, les moindres côtes en première ! Je mis deux jours pour atteindre Villemagne. Dès mon retour après quelques jours de congé, j’ai transformé mon moteur en 425 cm3 !!!

 J’étais sans voiture mais cela n’avait pas une grande importance ; pour aller à Gennevilliers, je prenais le métro jusqu’à porte de Clignancourt où des bus affrétés par Général Motors attendaient les employés. Seulement, nous comptions, Dany et moi  partir en vacances le 1er août, là, c’était urgent, il nous fallait une auto. Je trouvais à très bas prix une Châtelaine qui était en fait une Aronde break 2 portes. J’aurais dû me méfier du très bas prix. Très rapidement après être allé à Précy sur Oise pour l’essayer, je coulais une bielle, et ça n’était pas sans avoir mis de l’huile. En tout, J’avais dû consommer deux bidons pour l’aller et retour pour 120 kilomètres ! N’ayant que très peu d’argent, il me fallait trouver un moteur en état de marche pour cette Châtelaine, malgré son nom ce n’était pas « la vie de château » ! J’en trouvais un chez un ferrailleur, probablement celui chez qui j’avais amené ma Dodoche, je pense. Il en voulait vingt cinq mille francs (250 francs nouveaux), mais heureusement garanti 25 000 kilomètres, je trouvais que j’avais de la chance ! J’étais tout content, d’autant qu’un cousin de papa, Pierre Allais Président de la chambre syndicale des réparateurs auto de la région parisienne qui m’avait un peu pris sous son aile me permit d’aller dans son garage de réparation automobile un samedi et un dimanche pour poser seul le moteur en question. C’est aussi lui qui, en 1959 m’avait permis de rentrer à l’école du GARAC juste avant de partir à l’armée.

Il s’était passé du temps depuis l’accident et je procédais au montage du moteur la semaine avant de partir enfin en vacances. Au moins, pendant ce temps là la machine à lavait tournait à qui mieux mieux. Je vidangeais évidement le « moteur neuf » puis lui mis une huile de qualité ! J’avais tout de même pris la précaution de prendre un bidon de secours, on ne sait jamais ! Contact, démarreur, le moteur fumait, mais je m’etais persuadé que cela allait se tasser avec la bonne huile que je lui avais fait ingurgiter !

Le lendemain le départ, il est neuf heures, je charge la voiture, Dany et Laure s’installent. Tous les feux sont au vert, on y va !

Nous voilà sur la nationale 6, un nuage bleu derrière nous. Les autres usagers devaient pester et on voyait bien quand ils nous doublaient qu’ils nous traitaient de tous les noms ! Du fait du nourrisson, Laure en l’occurrence, il fallait impérativement s’arrêter toutes les deux heures ou deux heures et demie au moins, pour la changer, lui faire boire son biberon pendant que moi sur un petit camping-gaz préparais le suivant que je mettais ensuite dans un tube calorifugé pour le prochain arrêt. J’en profitais la première fois pour constater qu’il n’y avait plus d’huile dans le carter du moteur, je me félicitais de la précaution prise…Très peu de temps après cet arrêt, un bruit très inquiétant vient du moteur, une bielle venait de couler. Je coupe le contact, débranche la bougie incriminée en me posant des questions sur notre possible arrivée à Montpellier. Ouvrant le cache-culbuteurs, j’ôte les tiges de culbuteurs du même cylindre pour ne pas avoir de déperdition sur les autres cylindres. On repart. Sans en avoir l’air, je suis on ne peut plus angoissé malgré les remarques rassurantes à Dany qui n’en pensait certainement pas moins.

Nous n’avons pas roulé longtemps sans qu’une nouvelle bielle rende l’âme à son tour. C’était catastrophique, et je ne parle pas du nuage dense qui nous suivait, j’en aurais pleuré. J’ai rentré mes larmes et finalement fait la même opération que précédemment. Avec deux cylindres d’un moteur au bout du rouleau, ça ne va pas vite, c’est sûr, peut-être 40 Km/h…Mais telle la tortue, nous avancions tout de même. Et c’est avec un seul cylindre que nous sommes arrivés à Saulieu, la Châtelaine n’en pouvais plus, moi aussi. Nous ne pouvions évidement pas continuer. Je gare l’auto sur une place disponible, c’était fin juillet et il y avait bien du monde. Je courus chercher un hôtel. Nous eûmes enfin un peu de chance, on nous proposa une chambre, dépense supplémentaire, mais, c’était imparable ! Il fallait en passer par là. Dany monte donc dans la chambre avec Laure, nous convenons que j’allais partir seul à Montpellier Chercher la Domaine de Papa pour pouvoir ainsi descendre ma petite famille.

Première chose, trouver un garagiste qui accepte de m’acheter la voiture. Pas facile, mais, grâce à Dieu j’avais changé les pneus et mis une batterie neuve, le garagiste me l’achète une misère pour ces éléments là. La voiture en tant que telle, ne l’intéresse pas. Je lui barre la carte grise, empoche les quelques billets, retourne à l’hôtel. Je contrôle que femme et enfant sont bien installés et je cours sur la place principale de Saulieu avec le superbe taureau de bronze en son centre (il aurait pu avoir sa place à Nîmes, à Arles ou même en Avignon), là un car Citroën des transports du même nom est là prêt à partir, moteur en route. Vous savez, ces fameux cars avec un long capot cachant un moteur 6 cylindres, le même que les P45 de l’armée. Les cars Citroën étaient reconnaissables grâce à leur livrée, peints en mastic et rouge amarante. Le chauffeur n’est pas seul, il est accompagné d’un aide-chauffeur (je ne sais pas s’il a déjà le permis), par contre ce ne sont pas des apprentis tous les deux en ce qui concerne la boisson, car j’ai un mal fou à comprendre ce qu’il dit, et s’il va bien jusqu’à la gare de Dijon, l’aide s’y met aussi mais il n’est pas plus compréhensible, heureusement deux voyageurs sont là qui me confirment avec ce même accent de Saône et Loire mais pas aviné du tout que le car va bien directement à Dijon.

Tout de même pas très rassuré je vois démarrer le car. Au début cela ne s’est pas trop mal passé, malgré les blagues et histoires incompréhensibles qu’ils se racontaient, rigolards. Puis au bout d’un certain temps, ne voilà-t-il pas qu’ils décident de se remplacer au volant, cela sans arrêter le car ! La jeune voyageuse et le monsieur un peu âgé font comme moi, ils se lèvent et s’approchent du poste de pilotage, inquiets si l’on peut l’être dans ce cas. On n’ose pas trop élever la voix car ils sont tous deux un peu agressifs. Le changement de main, ça n’est pas triste si l’on peut dire, mais nous ne sommes pas au cinéma, c’est du réel ! Lorsque le jeune se retrouve derrière le bout de bois, il fait une malencontreuse embardée sur la droite, et heureusement, sur cette partie de la route il y avait une sorte de petit trottoir, ce qui fit faire au car une embardée sur la gauche, le remettant ainsi dans l’axe de la route après quelques lacets hasardeux. Le plus âgé des deux aussi saoul que le premier, mais probablement avec plus de bouteille (c’est le cas de le dire) et d’expérience, décide de reprendre le volant. De nouveau l’opération d’échange put se faire assez calmement. Dans l’ensemble, par la suite, ils devaient commencer à cuver, le voyage ne fut plus l’occasion d’incidents dignes d’être racontés et nous commencions à être habitués aux sinuosités qui nous berçaient. Après plusieurs heures d’angoisse, nous sommes arrivés entiers à la gare de Dijon, les deux voyageurs et moi nous sommes regardés souriants, heureux d’être enfin arrivés entiers. Je ne connaissais pas les horaires des trains et dus attendre assez longtemps une micheline qui m’amena à Lyon. Là en pleine nuit, je pris un train à couloir jusqu’à Montpellier.

Assez tôt le lendemain matin, j’arrivais à la maison des parents, je ne sais plus pour quelle raison maman était toute seule, peut-être mes frères et sœurs étaient-ils déjà à Villemagne ? Quant à papa, il était parti avec sa petite Fiat Jardinière visiter un champ de tomates malade du côté de Saint Rémy de Provence. Maman se fit longuement tirer l’oreille pour me laisser partir avec la Frégate Domaine de Papa, elle était inquiète de ce qu’il allait pouvoir lui dire. Je lui fis comprendre que c’était impératif et que Laure était un tout petit bébé. D’autre part, nous avions, cela va de soi, de nombreux bagages. C’est surtout l’idée du bébé, je pense, qui l’a décidée. Je suis donc parti immédiatement après que maman m’ait confié aussi les clefs de la maison, car papa l’emmènerait à Villemagne dès le lendemain et elle avait compris qu’il faudrait nous reposer après notre voyage et avant d’y monter.

Je sortis de Montpellier par la route de Nîmes sur la RN 113. Je n’étais pas encore sorti de la ville de Castelnau, que, tout en roulant à 100 Km/h, brutalement un nuage de vapeur d’eau envahit mon pare-brise. La durite principale avait pété ! Je laissais le moteur refroidir un peu, puis, à toute petite allure me présentais dans un grand garage de la 113. La Frégate était un modèle assez courant à l’époque, ce qui fait qu’une heure après, je pus reprendre la route une durite neuve installée. Il y avait beaucoup de monde sur la route, mais cette voiture était puissante et je doublais facilement. En fin d’après-midi j’arrivais à Saulieu. Je pus dîner à l’hôtel avec Dany et prendre ensuite un repos réparateur, je n’avais pas dormi la nuit précédente dans le train.

Très tôt, le lendemain matin, je commençais les allées et venues pour charger la voiture, lorsque tout fut prêt, je pris un dernier café et nous voilà partis. Mais voilà, ce n’était pas comme l’avant-veille, il y avait un monde fou, pas question de faire la moindre moyenne, c’était comme on dit (pardonnez-moi l’expression) « du  cul à cul », de plus, très rapidement nous commençâmes à avoir très chaud, trop chaud, nous étions inquiets pour Laure, mais le moteur chauffait aussi, le système de refroidissement devait être entartré. Pour que le moteur ne chauffe pas trop, je dus positionner le robinet de chauffage vers : ouvert ! Et puis comme ça ne suffisait pas, obligé, bientôt de faire marcher la soufflerie, vers nos jambes ! Mais comme il fallait s’arrêter pour les biberons, la Domaine pouvait souffler un peu, nous aussi, d’ailleurs. Nous n’étions pas brûlés mais bien cuits, cette maudite soufflerie nous grillait les pieds, heureusement Laure était à l’arrière dans son landau, mais malgré tout elle devait tout de même avoir bien chaud et nous tâchions de l’hydrater fréquemment.

Là je vécus un voyage comme jamais plus je ne l’ai vécu plus tard alors que j’étais constamment  sur les routes pour mon travail et ce, quelle que fut la saison. Nous vécûmes de longs, très longs embouteillages, chaque commune traversée en était l’objet, sans compter que de nombreux accrochages ou accidents y participaient aussi. Il y eut d’abord La Rochepeau fameux col du Morvan où un camion s’était couché. Puis la traversée de Chalons sur Saône abominable, puis Mâcon, la même chose, puis Villefranche sur Saône, là ce fut l’apothéose, (c’est ce que nous avions cru) nous avons dû camper une heure sans bouger d’un pouce. On croyait toujours avoir vécu le pire, mais non, Lyon fut plus que l’apothéose. Incroyable, mais vrai et toujours ces quantités de voitures qui se suivaient les uns derrière les autres, sans aucun répit. Lyon passé, je me suis dit, on a fait le plus gros, et bien non, ce fut Vienne, puis Reventin Vaugris avec son feu tricolore qui ne laissait passer que six ou sept voitures, l’horreur ! Et puis cette chaleur dehors et dedans, nous étions jeunes heureusement ! Valence, je décidais de prendre la déviation poids lourds, mais beaucoup avaient fait comme nous, nous n’avancions guère. Montélimar fut terrible, là, je décidais de prendre la rive droite du Rhône, c’est une très belle petite nationale avec une infinité de villages plus ou moins faciles à traverser. Nous n’en pouvions plus car c’était toujours la même chose.

Il devait être très tard (heureusement, en été les jours sont longs) lorsque nous quittions enfin la vallée du Rhône et traversions le Gardon à deux pas du pont du Gard. Nous étions toujours embouteillés, peut-être même pire, c’était du mètre par mètre. Tant bien que mal, moins d’une dizaine de kilomètres plus loin, un embranchement se présente vers Alès. Ni une ni deux, je l’emprunte. Là, plus personne, évidement, ce n’était plus la direction de l’Espagne, notre auto ne chauffait plus bien que dehors, c’e fut  encore la canicule. Nous traversâmes le département du Gard du nord au sud pour arriver enfin à Saint Mathieu de Tréviers et enfin Montpellier.

Il devait bien être près de minuit lorsque nous nous arrétâmes devant la maison des parents, je ne sais pas si c’était le jour de messe, mais quel beau dimanche !!! 

 

Fredy