Café, café

 

 

Ce matin, en arrivant à la G.M. mon lieu de travail, je saluais Georges un des nombreux gardiens en uniforme (style flic New-yorkais), nous nous connaissions bien, il m’appelait « speedy Fredy », car nous habitions le même vieil immeuble dans le onzième, boulevard Richard Lenoir.

En arrivant, je ressentis les « boum-boum » de la grosse presse du dessous qui emboutissait les flancs des frigos et machines à laver.

Je n’avais pas tout à fait les yeux en face des trous, la semaine commençait. Je m’attelais immédiatement à ma première série de cafés sur la machine que j’avais laissée vendredi moyennement propre, et les plateaux largement maculés de traces de café et de sucre.

En effet, il fallait faire vite, car les secrétaires des différents services m’avaient laissé immédiatement après leur arrivée des petits bouts de papier avec leurs commandes. Ce matin là, j’avais déjà onze bouts de papier, ce qui représentait environ quatre vingt express. Oh là, là, c’est dingue, je n’y arriverai pas ce matin, je venais de porter un plateau au service SUPPLY, et en revenant, j’avais trouvé ma machine toute dégoulinante elle avait craché de tous côtés, j’avais mal serré une des poignées, mes tasses et soucoupes étaient maculées ! Thérèse, la secrétaire du SAV, m’avait dit lors de mon passage de retour : « Alors, ça vient, M Trulzy le patron est excédé. »

Enfin, j’apportais à Thérèse le douze cafés demandés en évitant le regard furibond de M Trulzy et de son adjoint R.A.Mortimer, sans compter que les inspecteurs techniques qui étaient tous là, debout, prêts à partir sur leurs secteurs comme chaque lundi matin, ayant déjà reçu leur avance de fonds (en espèces) pour la semaine. Ils attendaient leurs express, chacun me fusillait du regard.

Grâce à Dieu, mon percolateur était bien placé, il était au pied de l’escalier qui montait à l’avant dernier étage au service INFORMATIQUE qui, lui, tenait toute la surface du bâtiment (ce qui n’était pas rien, soit environ 1000 m2). Une fourmilière de petites dactylos (on les appelait plutôt les perfos), montait et descendait les marches,  me montrant d’abord leurs sourires puis leurs « panties » à  trous- trous et rubans, (c’était la mode cette années là avec les « minijupes » qui venaient d’arriver grâce au collant)  ou l’inverse, suivant qu’ elles montaient ou descendaient !

Ce même escalier menait aussi à l’étage supérieur où se trouvait la grande direction pour la France, il faut dire aussi que nous n’étions pas seulement importateur de véhicules (Allemagne, Royaume Uni, et évidement Etats Unis), mais aussi constructeur ici à Gennevilliers de bougies, d’électroménager (machines à laver le linge et réfrigérateurs que nous sous-traitions d’ailleurs pour de grandes marques européennes) et aussi le service ENGINERING qui envisageait déjà de construire aussi sur place diverses pièces d’électronique et de freinage pour fournir divers constructeurs et peut-être même des convertisseurs de couple. Ces grands patrons, on ne les voyait quasiment jamais, et les secrétaires de ces pontes avaient leur propre machine à café.

L’étage immédiatement au dessus était celui de la cantine, il y avait trois services à partir de onze heures trente, et là, c’était la cavalcade jusqu’à près de quatorze heures.

Mon tiroir à marc était plein, mais je n’avais pas le temps de le vider et il en tombait par terre, je pataugeais, mais bon, je commençais à rattraper mon retard, il me restait seulement le service des MINES. Il ne comptait qu’une dizaine de personnes dont la moitié ne buvait pas de café, par contre chez eux, un nuage de fumée vous accueillait Boyards ou Gitanes. Il était curieux de constater que les marques de cigarettes puissent ainsi faire des « clans ». Par exemple, les inspecteurs techniques et ceux des pièces détachées étaient quasiment tous fidèles aux Gauloises, quant aux secrétaires des « aquariums »(je parle des boîtes de verre où se prélassaient les patrons de petits services), elles préféraient la plupart du temps montrer leurs jolis paquets de Dunhill rouge sang et or (j’en ai goûté une fois, du vrai foin), mais se contentant le plus souvent de suçoter plutôt que d’aspirer.

Tous ces patrons étaient généralement américains, l’un d’eux était anglais, celui du service PARTS, lui, était australien. Bien peu de français avaient réussi à obtenir un aquarium, et encore fallait-il qu’il pratiquassent parfaitement la langue américaine, et qu’il eussent fait un stage d’au minimum six mois à Détroit ! La consécration pour ceux qui avaient été aux U.S. était de rapporter leurs noms et prénoms en initiales (si possible trois) gravés sur une lame de cuivre collée sur un bloc prismatique de bois noir.

Quelle drôle de boîte, tout de même ! Quand j’arrivais avec mon chariot de plateaux de cafés dans cette immense salle, l’effet de perspective était saisissant : les travées de bureaux identiques s’étendaient presque à perte de vue, alignées dans les deux sens ! Heureusement, je ne faisais pas partie de ce monde là. Moi, je me baladais toute la journée allant d’un service à l’autre. Il faut ajouter que lorsque le temps du café du matin ou de l’après déjeuner était passé, je devenais une sorte de facteur, distribuant aux uns et aux autres, les courriers et aussi les très nombreuses notes qui transitaient d’un service à l’autre et appelés pompeusement « Inter Mémorandum » ou plus communément mémos.

Le beau sexe était ici largement représenté, de très nombreuses idylles se nouaient et se dénouaient à tout bout de champ. J’étais là, dans un monde à part, pétulant, vivant, souvent drôle. Par exemple au fond des bureaux, à l’opposé des grandes baies vitrées, il y avait un immense local avec de longs photocopieurs à ammoniaque, faits pour tirer des plans. Attenants à ce local se trouvaient de très grandes toilettes homme et dames qui n’étaient séparées entre elles que par une cloison de deux mètres de haut, avec de part et d’autre les lavabos. Le grand sport pour ces messieurs était d’écouter sans être vus les papotages  de ces dames ou demoiselles qui n’étaient pas prolixes à propos de leurs conquêtes !

 Mais, le soir, repartant chez moi et retrouvant mon bus d’entreprise qui m’amenait à la porte de Clignancourt, je me rendais compte que je retournais vers la vraie vie, pas si drôle que ça ! Après dans le métro, quelle atmosphère lourde, pesante ; les gens ne se regardaient pas, s’ignoraient, lisant leur journal du soir ou perdus dans leurs pensées, accrochés au même tuyau, ballottés, s’arc-boutant par moments.  J’avais changé de monde !!!                     

Fredy 

 

P.S.J’ai inventé ce rôle, mais j’ai vraiment travaillé à Général Motors France, il y a…