LON 68 19 - Suresnes

 

Peu avant l'été 2015 mon cousin Denis m'a fait la remarque suivante: Tu n'as jamais parlé dans tes écrits de ton passage chez mes parents à Suresnes ni de nos escapades à la gare de l'Est pour boire de la gueuse belge.

Alors, voilà, je m'y met et j'en profite pour relater cette difficile période de ma vie professionnelle.
Le titre, c'est tout simplement "
LON 68 19 - Suresnes" le N° de téléphone des Rosset à Suresnes.

En début février 1963 je suis venu travailler à la Plaine St Denis dans un grand garage poids lourds qui s'appelait France Transports Domicile (FTD) appartenant au groupe Calberson. J'y suis resté jusqu'à la fin février 1964. De là je suis parti travailler à Cazouls les Béziers chez M. Sénégas agent Renault.

Mes parents avaient convenu avec oncle André Rosset (mon parrain) et tante Odette que je logerai chez eux à Suresnes en pension, d'ailleurs j'en réglais une petite à ma tante Odette. Tante Odette n'était pas obligée de me recevoir et elle l'a fait, je pense avec plaisir, même si parfois l'ambiance devenait un peu lourde et tendue. Elle était beaucoup moins souriante que ses sœurs, ma maman et tante Monette d'Aix en Provence, je dirais qu'elle était plutôt vieille France.  J'avais une mobylette jaune que j'avais achetée lors de mon séjour militaire à Bayonne. Elle allait me rendre de grands services, car de Suresnes à la Plaine st Denis, ça n'était pas à côté. Il me fallait traverser le Bois de Boulogne, prendre les boulevards extérieurs jusqu'à la Porte de la Chapelle, puis l'avenue du président Wilson sur la quelle se trouvait l'entreprise. Cette avenue allait devenir plus tard l'autoroute A1 vers le Nord de la France. Je crois bien me souvenir que mon trajet me durait trois quarts d'heure, je roulais à peine plus vite qu'un Solex,  par beau temps enfin sans grosse pluie!

 

FTD utilisait presque exclusivement des camions semi-remorque pour les messageries des gares parisiennes, très peu de camions-porteurs. Le système était le suivant: les camions tiraient des remorques chargées ou vides, les posaient et allaient en prendre une autre vide ou pleine à destination d'une autre gare. Pendant ce temps, le personnel de messagerie s'occupait des remorques en les chargeant ou l'inverse. Ces remorques étaient aussi utilisées pour les halles en plein centre de Paris (Rungis n'existait pas encore), c'était le vrai binz autour des halles les chauffeurs devaient être des cadors en manœuvres. C'est pourquoi il avait été inventé des camions semi-remorque à trois roues, cette roue avant pouvait braquer à 90 degrés, voire 120 ce qui permettait à ces véhicules d'être extrêmement maniables et faisaient ainsi des manœuvres impossibles à réaliser avec une simple voiture particulière. 

Je me trouvais dans un des ateliers. Les premiers réalisaient les entretiens courants sur les camions, les autres s'occupaient des remorques. Ces remorques étaient très simples mais solides, elles n'avaient pas de clignotants, juste des lanternes et pas toutes de feux stop. Le freinage était réalisé par des câbles. Mon atelier, lui était réservé à la grosse mécanique c'est à dire exclusivement réparation de moteurs, boîtes  de vitesses et ponts arrières. Dans cet atelier nous étions sept mécaniciens d'âges divers et surtout très disparates au niveau des qualités professionnelles.  Le plus doué techniquement devait avoir 35 ans venait de l' Aveyron, il avait un bon accent méditerranéen. Un autre, dénommé Acker, très doué aussi,  il avait près de 65 ans, mais tout petit, maigre, agile comme un singe, arrivant à se glisser un peu n'importe où dans ou sous la cabine d'un camion. Il était très fort en manœuvres de camion en marche arrière avec remorque. Il faut dire aussi que nos camions, la plupart des vieux Panhard 80 CV avaient des volants de conduite immenses (pas de direction assistée!), et il fallait le voir debout sur le marche-pieds se jouant des dédales formés par quantité de remorques et de camion, il sautait à la fin sur le siège pour débrayer et arrêter au dernier moment en rigolant. Les autres employés étaient dans l'ensemble peu intéressants et égoïstes. L'ambiance était un peu lourde, et, comme j'étais le plus jeune, le larbin c'était moi tout particulièrement pour le nettoyage des pièces. Lorsque par exemple l'un ou l'autre déposait un moteur, une boîte ou un pont c'est moi qui devais apporter la pièce en question dans la ruelle à côté de l'atelier. L'espace de lavage en béton était en plein air, sans aucune protection, il fallait la frotter énergiquement à l'aide d'un pinceau trempé de gasoil. Puis ensuite avec un jet d'eau très puissant éliminer tout ce gasoil jusqu'à ce que la pièce soit neuve d'aspect. J'y ai passé pas mal d'heures dans ce lieu à courants d'air, j'étais mouillé, frigorifié, je puais le fuel. Ensuite à l'air comprimé j'éliminais la totalité de l'eau. Il faut savoir qu'à cette époque les ensembles mécaniques  souvent hors d'âge perdaient beaucoup d'huile, ce qui fait qu'avec la poussière de la chaussée ces pièces étaient enduites d'un ou deux centimètres de cambouis! Je vous laisse le soin d'imaginer le boulot que c'était car généralement le pinceau ne suffisait pas, je devais à l'aide d'un gros tournevis ou d'un morceau de lame de scie à métaux décoller ce cambouis! On devine sans peine qu'après de telles opérations mes bleus de travail et tout particulièrement mes chaussures subissaient un traitement très dur. D'ailleurs, le samedi j'apportais mes bleus particulièrement sales à la laverie de Suresnes qui était plutôt spécialisée dans le nettoyage à sec. Quant à mes chaussures j'ai dû en remplacer plusieurs paires en quelques mois pendant mon séjour à Paris. Généralement le chef d'atelier monsieur Matou ne me confiait que des ponts à déposer puis à démonter puis à remettre en état. Le travail était très pénible. Le camion que j'allais opérer était placé sous un palan, avec treuil à chaine. La plupart des camions étaient des tracteurs semi-remorque à attelage automatique (dit attelage FAR).

 La marque FAR créait aussi les fameux "3 roues". En ce qui concerne l'attelage FAR les remorques étaient posées avec des béquilles à roulettes qui basculaient en arrière lorsque le tracteur se présentait. Celui-ci était équipé de deux rampes inclinées qui soulevait la remorque jusqu'à ce qu'un double crochet attrape la remorque. Dans cette position, la remorque ne pouvait pas bouger, car ses freins étaient serrés à fond. Mais le chauffeur dans sa cabine avait à disposition un levier qui commandait ce que l'on appelait le bonhomme. Celui-ci se dressait, ce faisant il débloquait le système de freinage et l'astuce était que lorsque le chauffeur freinait ce bonhomme s'abaissait et provoquait ainsi le freinage simultané de la remorque (théoriquement, car cela provoquait parfois de gros incidents si la coordination n'était pas parfaite.)

 Mon travail consistait d'abord à débloquer les deux jumelages arrière, ensuite je déposais les axes de ressorts à lames, déboulonnais l'arbre de transmission, débranchais le système de freinage, déposais les câbles de frein à main, je levais enfin l'arrière du bahut à l'aide du palan et pouvais enfin dégager le pont avec ses deux jumelages. Tout ça pesait un « âne mort », je devrais même dire « cheval mort » car l'ensemble devait peser pas loin d'une demie tonne! Là, par contre, il fallait être deux pour guider l'ensemble sur l'aire de lavage, chacun poussant ou retenant le  jumelage de son côté.

Je passe sur les opérations de remise en état qui suivaient.

J'ajouterai qu'il régnait dans cet atelier une ambiance très particulière d'alcoolisme. En effet, en profitant des absences fréquentes de M. Matou, il allait sans arrêt au bureau de la comptabilité. Alors là l'ensemble des gars, après un regard de connivence à la ronde et d'un commun accord se dirigeait vers le vestiaire, c'était, je vous le donne en mille, pour aller boire du vin! Oui, tout à fait, du gros rouge qui tache, celui qu'on appelait alors le "vin des rochers, le velours de l'estomac". Et moi, comme un âne, je suivais le groupe. Au goulot on liquidait la bouteille en moins de deux minutes. Cela se reproduisait plusieurs fois tant la matinée que l'après-midi. Évidement, il fallait que chacun approvisionne...Je me conformais naturellement à la règle, mais chaque fois que je le pouvais, grâce à des prétextes divers j'évitais le passage au vestiaire.

A midi, nous traversions l'avenue pour aller déjeuner chez "La Bretonne" ou plus simplement chez Marie, son restaurant, un routier à deux pas du dock des alcools (écrit en lettres géantes sur la façade)! Les tables étaient déjà prêtes avec pour chaque ouvrier une entrée, un demi-pain et un "kil de rouge", je n'en sortais pas! D'autre part, pas de carafes d'eau sur les tables, pas la place!. Le soir j'étais souvent  un peu imbibé, c'était évident, mais je faisais mon possible tout en donnant le change pour ne boire qu'un minimum dans la journée. Et oui, quand on se passait la bouteille de l'un à l'autre il me suffisait de doser le temps avec le goulot entre les lèvres.

Le soir il fallait bien qu'au guidon de ma mobylette je retourne à Suresnes en entier! J'arrivais chez tante Odette souvent très fatigué, épuisé, même!

Voilà la vie que je menais dans cet univers très particulier qui était d'ailleurs celui de tout le quartier! Il y avait d'autres entreprises plus ou moins axées sur le transport routier, les pneumatiques, les peinture pour carrosserie et j'en passe... Tout ce petit monde fonctionnait aussi au gros rouge, d'ailleurs les ouvriers parlaient du "niveau" en référence à la bulle lorsque la bouteille est couchée à l'horizontale, cette expression viendrait plutôt du peuple de maçons.

Le soir en arrivant chez mes cousins, je changeais de monde, totalement. Je montais au deuxième étage, celui des garçons. je couchais dans la chambre de Denis nous avions un an d'écart et nous entendions bien. Et puis aussi nous nous connaissions bien ayant passé deux été en 48 et 49 aux Houches avec tante Monette et oncle Pierre, alors encore sans enfants. Là, nous avons bien fait quelques bêtises. Denis dira que c'était moi qui les faisait, étais-je le seul? J'ai aussi appris à marcher en montagne et à faire des efforts physiques mais surtout à profiter des paysages sublimes de la haute Savoie. Lorsque je suis arrivé à Suresnes, c'est tout naturellement que nous avons repris nos relations de cousins, lui souvent goguenard, voire moqueur vis à vis de moi, mais cela faisait partie des gênes de mes cousins et aussi de mon parrain, normal, les chiens ne font pas des chats. De mon côté j'étonnais un peu tout ce monde par mon appétit. Cela à tel point que Denis me surnommait la poubelle de table car il n'y avait aucun restes après un repas!

 Je me relavais tout particulièrement  les mains car le cambouis, ça marque fort, je n'avais d'ailleurs jamais les mains nettes après, ça me désolait. A la maison, seul l'aîné Étienne avait quitté le cocon familial, il roulait dans une quatre chevaux Renault rutilante. Je la lui avais emprunté une fois en juin 1960 juste avant de partir à l'armée. Donc, le plus grand restant était Yves, il travaillait chez un grand fabricant de robinets, il avait sa propre mobylette avec suspensions avant et arrière, de plus elle était immatriculée car il avait fait un voyage en Angleterre, il devait ensuite la changer pour une Renault 8 véhicule alors très en vogue chez les jeunes. Denis, lui, étudiant à Cachan avait aussi une grosse mobylette bleue à deux vitesses. La mienne, jaune sans suspension n'avait qu'une vitesse, et le matin nous faisions vrombir nos machines sur le trottoir avant de partir. Claude et René partaient eux aussi avec pratiquement les mêmes engins que Denis. C'est ainsi que tête nue nous partions affronter la circulation de la région parisienne. Nous n'avions pas peur, car nous n'imaginions pas être en danger, mais je suis persuadé que les parents  tant  ceux des cousins que les miens devaient avoir quelques craintes. Mais nos deux roues n'étaient pas des foudres de guerre, rien à voir avec les "meules" d'aujourd'hui. N'empêche que nos anges gardiens devaient avoir du boulot!

Et puis, très rapidement je m'étais aperçu que ma route était très dangereuse tant par le fait que j'exerçais une activité fatigante et aussi le fait de la circulation très dense sur les boulevards extérieurs et au bois de Boulogne, les voitures me rasant de très près à chaque instant, j'évitais plusieurs fois l'accident grâce à la jeunesse de mes reflexes. J'avoue que les autos des parisiens me faisaient peur. J'attendais donc d'avoir gagné suffisamment pour m'acheter une auto. Au bout de plusieurs mois j'ai pu acquérir une deux chevaux Citroën de 1954 (elle avait 10 ans), modèle le moins puissant en 375 cm3 et alimentation en 6 volts. Elle avait 100 000 Km au compteur et je la payais 100 000 francs soit 1.000,00 francs nouveaux, mon salaire mensuel était loin d'être équivalent! J'eus bien des déboires et des pannes avec cette auto, elle devait avoir beaucoup plus de kilomètres qu'annoncés (peut-être le double) mais j'étais à l'abri du mauvais temps et des risques routiers. Ma manivelle était sur le plancher prête à servir, et elle m'a servi plus d'une fois en pleine circulation. Mon démarreur, ma dynamo, mon allumage était souvent plus ou moins en panne. Petit à petit je remplaçais les pièces importantes. un de mes compagnons de l'atelier, l'aveyronnais qui roulait maintenant en 4 CV avait eu une deux chevaux et il connaissait plein de combines dont il me faisait part.

Je ne sais pas comment l'idée ,nous est venue à Denis et moi, toujours est-il que de temps en temps nous allions avec ma nouvelle auto  faire un tour le soir à la gare de l'Est. Là un très grand café face à la gare spécialiste des bières belges nous accueillait et y buvions de la "gueuse" dans des bouteilles que nous trouvions impressionnantes par leur taille. Nous n'en prenions qu'une d'abord parce que c'était cher, et puis aussi on se rendait compte après que ça tournait un tant soit peu! Le barman un jour nous a emmenés visiter la cave et nous avons été fort étonnés devant cette immense cave où les gueuses étaient couchées dans le sable les goulots appuyés sur les culs des précédentes. Ces escapades pas trop fréquentes, il faut le dire nous réjouissaient énormément. Nous avons fait aussi diverses balades, ainsi par exemple nous sommes allés à Versailles faire le tour du grand canal (j'ai une photo où nous avions pris ma 2 chevaux le grand canal en fond). Une autre fois nous sommes allés à Saussay là où ma grand-mère avait autrefois sa grande maison, qu'est-ce que je la regrettais cette maison. Nous sommes aussi allés voir à Versailles notre ancienne maison sur le boulevard de la porte verte, elle n'avait pas trop changé à l'époque, maintenant en 2015 c'est un quartier chic, certainement parmi les plus chers de Versailles, il y a même un feu tricolore devant la maison! Naturellement, Denis travaillait le soir en général, je n'oubliais pas qu'il était étudiant. Ses études, il ne m'en parlait pas trop, moi de même en ce qui concernait mon boulot. Malgré tout il aimait bien me chambrer à tout propos (comme je l'ai déjà dit c'était un signe de fabrique de la famille Rosset), cela ne me gênait pas, mais de mon côté je lui racontais quelques balivernes peut-être bien sur le sexe, je ne sais plus très bien, de toutes façons, nous étions sans complexes l'un envers l'autre. Lui ai-je parlé de mes rares incursions rue saint Denis? Je ne sais plus, mais c'est probable!

Pour en revenir à ma Dodoche, c'est plutôt comme cela que je l'appelais, je décidais de prendre des vacances (j'avais droit à quelques jours de congés payés). Je partis donc très tôt un matin de Suresnes à destination de Villemagne, où la famille était déjà en vacances, la voiture chargée de mon sac à dos, de ma tente et de cartes michelin. Après le bois de Boulogne j'attrapais le périphérique jusqu'à la porte  d'Italie, là, je pris "l'autoroute du sud". Au départ elle possédait de nombreuses voies et ne pus faire autrement que de prendre celle la plus à droite, j'allais trop lentement, je m'en rendais compte, il y avait un léger vent de face, par moments, je devais même rétrograder en troisième, c'est dire! Je pense que je me trainais à 60 Km/h. Et puis, tout à coup je vois de grands panneaux indiquant plusieurs voies vers Orly, c'est à dire le sud et un autre précisant que la seule voie de droite était réservée à la direction d'Orléans! Je mis mon clignotant à gauche (tout petit à peine lumineux) et, me rendant compte que les voitures arrivant derrière moi à toute vitesse n'en tenaient aucun compte, je sortis le bras, ça me rappelait l'époque de Bayonne en Jeep. Mais là non plus, aucun résultat, dès que je tentais de me déporter à gauche, les autos me rasaient avec l'avertisseur à fond, j'avais même le temps de voir les conducteurs m'invectivant avec force gestes déplacés. En dépit de mes efforts pour prendre la route du sud, j'ai fini par me résigner à continuer vers Orléans! A cette époque là il y avait bien des camions récents roulant à plus de cent, mais un grand nombre très anciens bien fumants ne roulaient guère mieux que ma petite auto. Je me trainais donc à moitié étouffé derrière ces "camdards" et lorsque je voyais une descente je réussissais à doubler tout content. Mal m'en prenait car généralement une montée succédait à la descente et évidement le camdard en question me redoublait, terrible! Oui, c'était terriblement frustrant de se faire ainsi regratter, ce qui fait que j'ai roulé ainsi à une moyenne incroyablement basse. Je n'osais pas stopper pour regarder la carte pour éviter de perdre de temps, du coup je me suis perdu plusieurs fois et au lieu de pouvoir prendre des déviations à l'entrée des villes je venais m'embouteiller dans les villes en question. Résultat des courses, je n'avançais pas sur une route que je ne connaissais pas. Finalement, je m'étais plus ou moins perdu aux alentours de Montluçon. Bien qu'en été, il y avait de l'orage dans l'air et de gros nuages bloquaient la lumière. J'avais roulé jusque là avec un éclairage nul et fus bien content de trouver un petit camping perdu dans la nature. Bien heureux car j'avais pris ma minuscule tente canadienne. Je n'avais pas de lampe de poche et après avoir payé le camping pas trop cher heureusement, je me débattis pour installer ma tente, en plus il s'était mis à pleuvoir! Je dormis très mal, j'ai eu froid malgré le sac de couchage, le sol était plein de bosses et je sentais les cailloux sous moi.

Le lendemain matin, tout de même reposé je repris le volant très tôt et je cogitais sur mon éclairage. En effet, mes deux paraboles étaient piquées, je dirais  plutôt toutes rouillées, alors que déjà les ampoules 6 volts ne donnaient pas une énorme puissance d'éclairage malgré les 40 watts théoriques. En plus de cela, la dynamo de la deux chevaux placée en bout de vilebrequin ne donnait qu'en fonction de la vitesse de rotation du moteur, ce qui fait qu'en montagne où je me traînais je n'y voyais que pouic alors que c'est là qu'il m'aurait fallu une réelle puissance d'éclairage!

J'avais décidé que dès que je le pourrais je m'arrêterais chez un garagiste Citroën pour changer les fameuses paraboles.  Je roulais, je roulais, il n'y avait pas trop de circulation, mais nous étions en été et je me trouvais plusieurs fois à piaffer derrière des caravanes tirées par de vieilles autos qui roulaient encore plus doucement que moi, c'était rageant. En dépit de tout cela j'arrivais à grignoter la carte vers le sud bien que le massif central fut pour moi une sacrée affaire. Mais ma persévérance finit tout de même par payer, le plus dur fut pour le garçon fatigué que j'étais de descendre du causse sur le village de sainte Énimie par une route étroite dangereuse, mais je commençais à sentir l'écurie et en entrant dans Meyrueis exactement en face du pont sur la Jonte, le garage Citroën était en train de fermer son portail. Je bondis hors de l'auto et pus revenir quelques minutes plus tard les fameuses paraboles à la main. En un tournemain je les eu installées et me suis précipité sur le dernier tronçon de ma route vers Villemagne. Quel plaisir alors de voir ma route et en plus la nuit était bien noire, sans lune. Aucune comparaison avec un éclairage moderne, mais j'y voyais!

Il était bien tard lorsque j'arrivais enfin à Villemagne. Toute la maisonnée dormait, je frappais avec force sur la porte, plusieurs fois, la lumière s'alluma chez nos voisins les vieux Viala et leur fille madame Gondry, enfin seulement ma mère ouvrit sa fenêtre me reconnut et courut descendre m'ouvrir. "As-tu dîné mon grand ? non ?"  Elle me découpa un morceau de rôti de bœuf accompagné d'un verre de vin. Je lui racontais mon épopée, j'étais tout de même fier de prouver à ma maman que je pouvais venir tout seul de Paris jusque là sans problèmes. Aujourd'hui cela fait rire, mais entre les deux guerres ce genre de voyage se faisait généralement en trois jours. Et là, en 1963 ce n'était plus une victoire, mais tout de même! Entre temps papa était descendu lui aussi, il me raconta alors son voyage à Bordeaux en 1940 avec tout le personnel de son labo! Maman qui avait tremblé pendant que j'étais en Algérie me dit qu'elle était bien contente de me voir là dans la famille.

Le 14 octobre 2015

 

Fredy